Avec la réforme des retraites, côté face on perd, côté pile… on perd aussi. Une analyse en partenariat avec l’AGAUREPS-Prométhée.
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Le feuilleton de la réforme des retraites dure depuis maintenant des mois, avec un exécutif qui souffle le chaud et le froid sans parvenir à abuser les salariés, dont les craintes grandissent à juste titre. Le jeudi 18 juillet, le « haut-commissaire à la réforme des retraites » Jean-Paul Delevoye, entre-temps promu membre du gouvernement tout en conservant ce titre ronflant et technocratique, rendait publiques ses préconisations, dont un relèvement de l’âge de départ. Celles-ci constituaient déjà une étape majeure dans le processus de démantèlement du pacte républicain et social scellé en 1946. Quelques semaines plus tard, à la sortie du sommet des maîtres de monde dans un Biarritz transformé pour l’occasion en camp retranché, Emmanuel Macron prenait position pour une augmentation de la durée de cotisation. Contrairement à ce qui a été prétendu ici ou là, les deux options ne sont pas en contradiction ou en concurrence. L’annonce d’Emmanuel Macron, en particulier, n’a rien d’une reculade. Il importe de bien percevoir la complémentarité des deux propositions, qui s’inscrivent en partie dans un jeu de rôle politicien.
Et entre la poire et le fromage, une réforme des retraites (le G7 à Biarritz)
Réforme systémique, réforme paramétrique
Pour le comprendre, revenons sur la place accordée à cette réforme dans l’agenda ordolibéral d’Emmanuel Macron. Avec la grandiloquence macronienne habituelle, cette réforme nous avait été présentée comme une réforme systémique (nécessaire car structurelle) qui ne serait pas paramétrique (insuffisante car conjoncturelle). En vérité, l’exécutif entend agir simultanément à ces deux niveaux, ce qui contribue à démultiplier les conséquences dévastatrices de cette réforme.
C’est d’abord une réforme systémique, dont le point central est l’introduction d’un système par points. Dans le droit fil de l’introduction de divers « comptes personnels » et de l’inversion de la hiérarchie des normes, la retraite par points ferait triompher le principe d’individualisation des droits sociaux, à rebours du programme du conseil national de la Résistance et de la révolution sociale associée à la figure d’Ambroise Croizat, qui affirmait la solidarité (au sens le plus fort du terme) du salariat, c’est-à-dire de la classe productive, solidarité qui devait déboucher sur une communauté de droits sociaux. Le système solidaire intergénérationnel de retraites par répartition est la plus haute incarnation de cette communauté politique et sociale des producteurs, et c’est bien cela qu’il importe à tous réformateurs UMP/LR, PS et LaReM de détruire.
Mais le débat entre âge de départ et durée de cotisation montre qu’il s’agit aussi d’une réforme paramétrique, même si cela n’est pas avoué. Pour commencer, il faut relever que la définition d’un âge pivot (64 ans) dans le rapport de Jean-Paul Delevoye était une manière déguisée et insidieuse de repousser l’âge (légal et réel) de départ à la retraite et d’augmenter la durée de cotisation pour obtenir une retraite à taux plein. Cette augmentation de la durée de cotisation était donc déjà dans les cartons. D’autres mesures envisagées dès juillet, comme la décote ou la valeur fluctuante du point, favorisaient les conditions d’une baisse quasi générale des pensions de retraites.
Jean-Paul Delevoye, ministre sous Chirac, président du Conseil Economique et Social sous Sarkozy puis Hollande, président de la commission d’investiture d’En Marche aux législatives de 2017 et Haut-Commissaire sous Macron: le nouveau monde.
Qui perd… perd
La saillie macronienne en marge du G7 de Biarritz n’a fait que renforcer le caractère paramétrique de la réforme. En indiquant sa préférence pour un accord sur la durée de cotisation plutôt que sur l’âge de départ, Emmanuel Macron acte le principe d’une augmentation du nombre d’annuités de cotisation. L’âge de départ à la retraite en sera d’autant plus repoussé pour la très grande majorité de nos concitoyens. On voit bien ici en quoi les deux propositions sont complémentaires, et il n’y a guère que les commentateurs politiques professionnels piliers de plateau télévisé pour faire semblant de ne pas s’en rendre compte.
Par conséquent, la réforme ne fait que des perdants sur tous les tableaux. Sur le plan systémique, tout le monde perd collectivement, car la retraite solidaire par répartition disparaît. Mais sur le plan paramétrique, chacun y perd individuellement, car il faudra travailler plus longtemps et partir plus tard. Et même très tard pour espérer une pension à taux plein… Nous y perdons tous, car les conditions sont créées pour des pensions rabougries. Nous y perdons tous, car on passe d’un système à prestations définies (on sait quel niveau de pensions on touchera) à un système à cotisations définies (on ne sait pas combien on touchera car cela sera fonction de la valeur du point).
Affiche de 1946 pour la Sécu
Un combat central pour la République sociale
On mesure ici l’hypocrisie monstrueuse qui dont fait preuve ce gouvernement quand il se targue d’agir dans le sens du « progrès ». Qui peut croire qu’il s’agit de donner du mieux-vivre au plus grand nombre et d’améliorer les parcours de vie ? Dans la novlangue macronienne, ce mot de progrès est systématiquement tordu. Les objectifs réels de la réforme sont tout à fait clairs, bien qu’ils soient parfois volontairement masqués ou obscurcis. Il s’agit de faire partir plus tard à la retraite et de réduire le montant des pensions versées, le tout pour diminuer la part globale de la valeur ajoutée qui est actuellement socialisée pour être ensuite allouée aux retraites – c’est cette socialisation par les producteurs de la richesse qu’ils ont produite que le gouvernement, le patronat et leurs porte-parole jugent odieuse et diffament autant qu’ils le peuvent, dans leurs sempiternels discours sur les « charges sociales ».
S’en prendre à la socialisation de la valeur créée, c’est poser les jalons d’un système par capitalisation. Dans le jargon des communicants, ce terme ne figure pas encore dans la « fenêtre » d’acceptabilité de l’opinion publique. Nos tacticiens de l’exécutif recourent donc à des stratégies de contournement rhétorique. Mais par-derrière, en agissant sur tous les leviers du système des retraites, on s’échine à offrir sur un plateau doré aux marchés ces sommes considérables que représentent les cotisations. C’est ce qui fait de cette réforme un enjeu absolument central pour toutes les forces en présence. Depuis quelques semaines, un slogan se répand à propos de la grève reconductible du 5 décembre, qui réaffirme mieux que tout autre ce principe de solidarité : « on entre ensemble, on sort ensemble ». En ce sens aussi, le combat des retraites est primordial car il permet de poser cette cohérence et cette communauté des citoyens-travailleurs qui est justement tout ce que le capital entend nier.
Affiche du documentaire de Gilles Perret « La Sociale », sur la naissance de la Sécu.
À sa manière, le ministre de l’Économie Bruno Le Maire nous a donné notre feuille de route, en affirmant qu’aux yeux du gouvernement, « il ne faut pas en rabattre sur l’ambition ». Nous non plus, nous n’en rabattrons pas: le système des retraites constitue l’une des manifestations les plus tangibles de la possibilité effective d’une République sociale, c’est-à-dire d’une organisation collective des citoyens-travailleurs, socialisant la valeur qu’ils ont produite pour ensuite la répartir entre toutes et tous selon un principe de solidarité politique universelle. La retraite par répartition est notre avenir : nous ne laisserons pas le gouvernement en faire notre passé.
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