Guerre et Paix

Les commémorations à venir du 11 novembre, date anniversaire de l’armistice de 1918, sont l’occasion de rappeler l’impératif de paix qui doit guider l’action de la France sur la scène internationale. Dès son instauration la cérémonie du 11 novembre présente une ambivalence : à la fois célébration de la victoire militaire des Alliés et rappel de l’horreur de la guerre (on trouve déjà dans les premières années qui suivent la fin de la boucherie de 1914-1918 des monuments aux morts qui dénoncent l’atrocité et l’absurdité de la guerre), la tendance est depuis le décès du dernier Poilu en 2008 à une dénonciation consensuelle du conflit militarisé et des attaques sur les populations civiles innocentes, ce qui a pu donner lieu en novembre dernier lors des cérémonies du centenaire à cette curieuse scène réunissant les leaders mondiaux eux-mêmes meneurs de plusieurs guerres extérieures (sans mandat de l’ONU faut-il le rappeler), visages graves de circonstances, autour du Boléro de l’antimilitariste Ravel – le tout agrémenté comme il se doit des inévitables chorales d’enfants.

Un capitalisme d’essence guerrière

Loin des cérémonies officielles, le monde militant perpétue la mémoire des massacres des civils et la réflexion collective autour des enjeux internationaux. Le 6 août dernier a eu lieu à Bordeaux comme chaque année, à l’initiative du collectif l’Appel des Cents pour la Paix, la commémoration des bombardements d’Hiroshima et de Nagasaki les 6 et 9 août 1945 devant le Monument de la Paix de Bordeaux-Lac, sculpture de 7 mètres de hauteur de l’artiste et architecte japonais Kiyoyuki Kikutake, offerte à la cité en 1990 par la ville jumelle de Fukuoka. Le lieu est cependant laissé à l’abandon par la mairie et sa localisation sur les bords du Lac demeure toujours très mal indiquée (rappelons ici qu’elle se situe sur les berges, au niveau de l’arrêt de tramway « 40 Journaux »). Les interventions des différentes organisations présentes ont permis de rappeler qu’au-delà de la simple condamnation morale qu’elle appelle, la guerre, loin d’être une fatalité, est le « stade suprême » de la compétition capitalistique.

 

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Gerbe déposée à Bordeaux au mémorial pour la paix lors de la commémoration du bombardement d’Hiroshima (août 2019)

Qu’on songe par exemple aux zones entières du Moyen-Orient que la course aux énergies fossiles et les interventions et conflits qui en découlent ont largement contribué à déstabiliser depuis le début du XXe siècle – dont, entre autres la fameuse affaire des « armes de destructions massives » en Irak. Dernièrement le retrait des troupes américaines du nord de la Syrie et l’ « intervention » de l’armée turque dans les zones contrôlées par les Kurdes sous couvert de « pacification » ont déjà pour conséquence la fuite de nombreux djihadistes qui y étaient emprisonnés et le risque de résurgence de cellules de Daesh, dont les opérations militaires de ces dernières années étaient pourtant en grande partie venues à bout, sans parler des exactions commises contre le peuple kurde du Rojava. L’imminence d’une nouvelle crise financière mondialisée causée par une déconnexion totale entre la production et la masse monétaire compte également parmi les facteurs belligènes, auxquels s’ajoute la crise d’hégémonie des Etats-Unis, fortement fragilisée par la concurrence du yuan face au dollar. Ce risque de conflit est accru par l’existence de zones de tension géopolitique en différents points du globe, qu’il s’agisse de la concurrence pour le contrôle des routes commerciales en Arctique ou de la militarisation de la zone Asie-Pacifique initiée par la Chine et sa stratégie dite du « collier de perles » (création de relais portuaires chinois dans le Pacifique et l’Océan Indien dans le but de sécuriser les routes commerciales reliant la Chine au Golfe Persique). Comme en 1914 où les puissances européennes s’affrontaient dans une course à l’impérialisme, et même si la situation n’est évidemment pas en tous points comparables, le capitalisme a transformé le monde contemporain en poudrière et multiplie les facteurs propices au déclenchement d’un conflit globalisé.

La guerre comme débouché économique

Un autre aspect de l’intrication entre capitalisme et guerre se situe au niveau du débouché économique que cette dernière constitue, perspective dans laquelle s’organise le complexe militaro-industriel : puisque l’armement est assuré par le financement des États, mus par la certitude de s’en servir tôt ou tard, la guerre est un support d’investissement privilégié pour les entreprises du secteur, et ce d’autant plus qu’il s’agit ici de budgets faramineux (les États-Unis, première puissance militaire mondiale, ont dépensé cette année 750 milliards de dollars pour assurer leur suprématie dans le monde et une présence à l’échelle du globe sur pas moins de 700 bases militaires). Le phénomène de guerre permet également au système capitaliste de procéder à une « purge » des valeurs devenues obsolètes : une arme dépassée par des technologies plus « modernes » est détruite pendant le combat ; ce qui semble à première vue absurde (produire pour nécessairement détruire) fait office de processus de régulation de la production capitaliste qui consiste à détruire une valeur quand celle-ci ne rapporte plus rien. La « course à l’armement » a par conséquent de beaux jours devant elle malgré les nombreux accords de désarmements bilatéraux initiés dès la fin de la Guerre Froide.

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Le capitalisme pacifique est… un Mirage, comme on est bien placé pour le savoir à Mérignac.

Une intervention lors de la commémoration des bombardements d’Hiroshima et Nagasaki le 6 août dernier rappelait fort opportunément que quelques jours auparavant, États-Unis et Russie s’étaient retirés du traité INF organisant le démantèlement par les deux pays des missiles nucléaires de portée intermédiaire. Un peu plus tard, une autre évoquait la création officielle au mois de juillet du Commandement de l’espace français destiné notamment à protéger les satellites français et plus largement européens, et qui implique donc l’accélération du renouvellement de certaines catégories d’armement et le développement de nouvelles (laser « d’éblouissement », nano-satellites patrouilleurs, mitrailleuses adaptées aux panneaux solaires, etc.). L’élargissement des terrains de guerre au domaine « extra-terrestre » ne déplace pas le conflit mais étend au contraire son inscription spatiale et accroît le besoin en moyens militaires.

Guerres climatiques et enjeux écologiques

Directement soumis à l’action du capitalisme, le paramètre écologique doit être pris en compte lorsqu’on veut se saisir des enjeux que présentent les nouveaux risques de conflits. Le 21 septembre dernier, à l’occasion de la journée Mondiale de la Paix, et à l’initiative des organisateurs de la commémoration du 6 août, plusieurs organisations se sont réunies au centre-ville de Bordeaux. Si le sujet pouvait paraître lointain alors que défilaient le même jour les Gilets Jaunes et la veille les Jeunes pour le Climat (Youth For Climate), les intervenants ont tenu à lier les différents combats à la lumière de la problématique écologique, le réchauffement climatique global donnant lieu à de nouvelles formes de conflictualités autour des ressources, suite notamment à la montée des eaux et la disparition de territoires fortement peuplés (80% de la population mondiale vit à l’heure actuelle à moins de 80km des mers et océans). Dès 2003, le Darfour est considéré comme le premier cas de guerre climatique et l’on estime que le phénomène devrait concerner dans les années à venir l’ensemble du Moyen-Orient, l’Afrique du Nord, de l’Est et l’Afrique centrale, ainsi que certains pays d’Asie centrale, sans compter les cas de conflit qui ne peuvent pas à proprement parler être considérés comme d’ordre climatique, mais que les conditions climatiques aggravent, comme c’est le cas actuellement au Mali ou en Syrie. Si tous les pays ne seront pas touchés directement, les équilibres mondiaux risquent cependant d’être bouleversés par l’afflux des réfugiés climatiques dont on estime qu’ils atteindront le nombre de 250 millions à l’horizon 2050. La question écosocialiste s’inscrit donc dans une réflexion globale qui doit intégrer l’examen des enjeux géopolitiques contemporains.

Guerre et souveraineté populaire

Le combat pour la paix ne saurait cependant se résumer à une condamnation systématique de toute action armée, dès lors que celle-ci s’inscrit dans un mouvement légitime de défense du territoire et de la nation. Le 21 septembre dernier, l’intervention du Parti de Gauche rappelait à juste titre que la veille correspondait à la date anniversaire de la bataille de Valmy (20 septembre 1792), première victoire décisive de l’armée française pendant les guerres de la Révolution contre l’armée prussienne qui projetait de marcher sur Paris pour libérer Louis XVI, et qui donne lieu dans la foulée à la proclamation de la Première République. Car de fait, en république, la guerre et l’armée sont une affaire de souveraineté populaire, dans l’intérêt des peuples et non au service de ceux d’une oligarchie. L’année dernière, comme depuis plusieurs années, plusieurs organisations (Libre Pensée, Union Pacifiste de France, ARAC et Ligue des Droits de l’Homme) proposaient à l’occasion des célébrations du 11 novembre une conférence pour la paix, dénonçant les atrocités de 1914-1918 et l’absurdité de cette guerre dont « personne ne voulait », et militant pour la réhabilitation de 635 fusillés pour l’exemple de la Première Guerre Mondiale, soldats exécutés suite à des décisions expéditives de juridictions militaires « pour l’exemple » dans le but de forcer les troupes à l’obéissance, sans possibilité de pouvoir se défendre ou de faire appel, dans la plupart des cas pour faits de désobéissance, d’abandon de poste, de mutilation volontaire voire de mutinerie. Les processus de réhabilitation demeurent complexes, et ce d’autant plus qu’il n’existe pas de procédure juridique adaptée, que les archives pour documenter les dossiers viennent à manquer, et que les gouvernements successifs se montrent frileux : en 2013 François Hollande refusera la réhabilitation collective des 635 fusillés pour l’exemple, malgré un avis favorable de son ministre des Anciens Combattants de l’époque, et Emmanuel Macron fera de même pour le Centenaire de 1918 au prétexte qu’il ne s’agirait pas d’une « question politique », montrant par là que la question est encore très sensible chez une partie des dirigeants et du haut commandement de l’armée. À défaut d’avoir pour le moment obtenu justice, les organisations politiques et les descendants des soldats exécutés ont inauguré le premier monument en l’honneur des fusillés pour l’exemple à Chauny (Aisne) le 6 avril 2019.

Si la France n’a pas encore apporté de réponse satisfaisante concernant les enjeux mémoriels autour des guerres du passé, il est impératif qu’elle revoie radicalement son action contemporaine à l’échelle internationale, à commencer par son activité de ventes d’armes (elle fait encore aujourd’hui partie des cinq plus gros exportateurs d’armes classiques) à des pays dont l’action demeure éloignée des valeurs des droits de l’homme (on pensera notamment au récent scandale de la vente d’armes à l’Arabie Saoudite dans le cadre du conflit au Yémen). Malgré son prix Nobel de la Paix en 2012, l’Union Européenne ne propose pas un cadre propice à la préservation de la paix, car structurellement liée à l’OTAN. Il conviendrait donc de réinvestir les cadres de l’ONU, tant le Conseil de Sécurité que ses nombreuses agences, sortir de l’OTAN, et multiplier les relations avec les BRICS (Brésil-Russie-Inde-Chine-Afrique du Sud), les pays du bassin méditerranéen et de la francophonie, afin d’assurer une indépendance française au service de la paix.

Pâquerette Gracile

Photo de couverture: le mémorial pour la Paix à Bordeaux-Lac.

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