Aéroports de Paris… et au-delà

Conjuguer les luttes: RIP, écosocialisme et comités de base

Le lancement du « référendum d’initiative partagée » contre la privatisation d’Aéroports de Paris en avril a placé le mouvement social et politique devant un défi d’organisation inédit. Ce premier RIP de la Cinquième République démarrait quelques mois après l’éclatement de la révolte des Gilets Jaunes, pour qui le mot d’ordre du « Référendum d’Initiative Citoyenne » était central. Pour la première fois, la signature d’un nombre suffisant de députés de tous bords plaçait le pays en situation de voir une mobilisation citoyenne d’ampleur déboucher sur un référendum contre l’avis du gouvernement. D’emblée, la barre des signatures à atteindre (4,7 millions) pouvait sembler trop haute. L’atteindre aurait nécessité une mobilisation sans précédent de tous les syndicats, de toutes les organisations politiques impliquées, depuis la gauche radicale jusqu’à des organisations de droite libérale mêlées à des privatisations non moins scandaleuses sur le principe, mais jugées moins « stratégiques » ou symboliques que celle de Roissy-Charles de Gaulle et d’Orly. Comment obtenir une telle mobilisation de la part du PS, qui a privatisé l’aéroport de Toulouse, a enclenché plus de privatisations sous Lionel Jospin qu’aucun autre gouvernement de la 5e République et continue localement à promouvoir le démantèlement du service public national du rail, à chaque fois avec l’assistance de ses brillants seconds des Verts ? Ou des Républicains, qui ont incarné l’obsession de la privatisation depuis plus de 30 ans et ont par exemple privatisé les autoroutes sous Chirac, pour rester dans le domaine des transports… Le lancement des « comités locaux ADP » à l’initiative de François Ruffin n’a pas résolu ces problèmes, puisque localement ces comités incluaient souvent certains libéraux privatiseurs (PS, courants droitiers d’EELV) mais pas d’autres (Les Républicains n’étant généralement pas invités). Le plus souvent, la greffe avec les syndicats n’a pas pris, aucune association de la société civile ne semble s’y être agglomérée au-delà d’Attac ici ou là, et certains comités semblent avoir été phagocytés par le jeu de dupes des manœuvres d’approche entre organisations et/ou notables locaux en préparation des municipales. Au-delà de ces problèmes, certains comités obtiennent des résultats plus qu’honorables, ainsi à Mérignac, même si l’on peut se demander si cela n’est pas aussi dû à la sensibilité des habitants de cette commune à tout ce qui touche au secteur aéronautique. Le black-out médiatique et l’inénarrable site officiel du référendum n’ont pas non plus contribué à faciliter la tâche. Néanmoins, l’objectif de franchir le seuil du million de signataires le plus tôt possible dans l’automne reste atteignable et un succès aurait déjà une résonance politique considérable.

Le terminal 1 de Roissy Charles de Gaulle (Wikimedia Commons)

L’enjeu est en fait double. La question, en effet, n’est pas seulement « comment relancer une dynamique de mobilisation sociale en faveur de cette campagne ? » mais aussi « comment relancer une dynamique de mobilisation sociale à la faveur de cette campagne ? » Alors que la réforme des retraites approche, et avec elle le dynamitage d’un héritage de la période 1945-1947 qui reste structurant pour la société française jusqu’à aujourd’hui, l’impératif stratégique majeur est de remédier à une certaine atonie et à la dispersion du mouvement social et populaire, et la tactique à employer pour mener la campagne ADP au million doit également s’orienter selon cet impératif stratégique : le rendez-vous manqué de l’automne 2018 entre les syndicats, une partie de la « gauche politique » et le mouvement des Gilets Jaunes a laissé des traces profondes et a affaibli les différents protagonistes à un moment où ils devraient au contraire concentrer leurs forces. Le RIP est l’occasion de reformer une masse critique en mouvement.

Les appels inspirés à la fameuse convergence des luttes n’y suffiront pas, et peut-être (sans doute!) ne sont-ils même pas nécessaires, ni utiles. L’heure est au travail politique. À cet égard, la démarche du comité régional de vigilance ferroviaire à Bordeaux nous semble intéressante et caractéristique d’une direction qu’il faudrait tenter de suivre. Le Réveil suit les activités de ce comité par l’engagement de ses rédacteurs au sein du Parti de Gauche, qui y participe. Dès avril, la manifestation régionale pour le rail et contre le démantèlement du réseau TER préparé par le PS et EELV au Conseil Régional avait déjà permis d’évoquer l’articulation entre ce combat et le RIP contre la privatisation d’ADP. À la faveur des marches pour le climat de fin septembre, qui bénéficient d’une couverture médiatique plus importante compte tenu de la fadeur politique que les puissants leur prêtent et de la place qu’y jouent les représentants du jésuitisme environnementaliste, le comité régional a donc produit un tract dont l’avant-projet remonte à une proposition du PG, pour qui la lutte contre la privatisation d’ADP est aussi la lutte pour que la collectivité conserve le contrôle d’un outil stratégique dans l’objectif d’une interdiction prochaine des vols intérieurs, source de pollution et facteur de métropolisation. Car la vente d’ADP placerait le nouveau propriétaire en situation de torpiller cette mesure et d’en faire exploser le coût économique tout en en majorant le coût social.

Lutte contre le changement climatique ; lutte contre le démantèlement du rail de proximité ; lutte contre l’organisation méthodique de l’impuissance des services de l’État et de la toute-puissance du Capital en matière d’organisation du trafic aérien : ces trois combats n’en font qu’un, qu’il est possible de tourner en positif comme une mobilisation pour une politique publique fondée sur l’intérêt général global, non dans un sens irénique ou candide, mais dans le sens d’une transformation écologique, républicaine et sociale du modèle de production et de distribution de la valeur et du modèle géographique et économique d’aménagement du territoire, deux sujets dont les lecteurs du Réveil savent combien ils nous semblent étroitement liés, et combien ce lien, pour nous, s’incarne dans l’idéologie « métropoliste » qui fait tourner à plein régime la centrifugeuse bordelaise. Pour le dire autrement : il n’y a pas trois luttes à faire converger, il y a une lutte à décliner en trois temps, et cette lutte n’est rien d’autre que le combat pour l’écosocialisme et contre le capital(isme) fossile. De cette proposition est donc sorti, dans un premier temps, un tract rouge et vert, sur le fond comme sur la forme, signé par toutes les organisations politiques et syndicales parties prenantes du comité : CGT, PCF, Ensemble, Génération·s, Parti de Gauche. Des tractages ont été organisés sur les marchés par le PG, rejoint depuis par Ensemble, et près des gares par la CGT. Les militants écosocialistes ayant participé à ces tractages font état d’un accueil exceptionnellement bon alors que nous nous trouvons au milieu d’un entre-deux-élections étroit où beaucoup de gens se sont lassés des tracts politiques et se lassent d’avance de ceux qu’ils s’apprêtent à recevoir jusqu’en mars.

La question aujourd’hui est « comment continuer » ? Faut-il donner corps à des comités ADP « fédérés » ou « de front social » qui émaneraient de secteurs en lutte et tenteraient de donner à ce RIP l’épaisseur politique d’un combat général contre le capital, contre « la privatisation d’ADP et son monde », pour paraphraser un mot d’ordre du mouvement contre la Loi El-Khomri, ou tout simplement contre la privatisation du monde et son accaparement par le Capital ? Comment articuler ce combat avec celui qui vient pour la sauvegarde et l’extension du régime général des retraites ? Le faut-il d’ailleurs, ou faut-il plutôt chercher à nouer celui-ci au combat héroïque des urgentistes pour la sauvegarde de l’hôpital public ? Ce qui a permis ce premier pas, c’est le contexte exceptionnel des marches pour le climat et la coexistence de trois luttes directement concernées par la question des transports. Ne risque-t-on pas de diluer la force de mobilisation du message si, à force de proclamer des convergences, tout finit par ne plus faire qu’une lutte ? Celle-ci serait alors ipso facto définie directement au niveau du conflit entre écosocialisme et capitalisme fossile, un conflit encore trop désincarné et trop peu présent dans les esprits. Éviter les facilités de l’« appellisme » est une priorité. La leçon de cette première tentative, c’est aussi que des mois d’immersion dans les tenants et aboutissants d’un dossier particulier, en se mettant à l’école des travailleurs en lutte, ne fait pas perdre de vue les « convergences » mais permet au contraire de les instancier efficacement. Préparons donc dès maintenant la lutte pour les retraites et écoutons les mille petits mouvements sectoriels en cours au lieu d’en déplorer la dispersion en première analyse : c’est la conjonction de leurs murmures à notre oreille qui devra demain devenir notre cri. Alors seulement nous saurons quel il sera.

Professeur Gabuzomeu

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