Pour une politique communale de lecture

Ce qui suit est fondé sur un travail de longue haleine dans une municipalité de ce qu’on n’appelait pas encore la métropole. Pendant quelque 25 ans (de 1977 à 2006), nous avons collectivement élaboré puis tenté de mettre en place ce que nous appelions notre politique de lecture. Nous avons constamment été aidés dans ce travail par un mouvement pédagogique, l’Association Française pour la Lecture.

Je souligne en préalable plusieurs affirmations théoriques qui, sans être exclusives à l’AFL, sont fondamentales dans l’apport de ce mouvement à notre réflexion :

La lecture est omniprésente dans notre vie (écrans, imprimé sous toutes ses formes etc.)
Une politique de lecture ne s’identifie pas à la seule promotion du livre ou de la littérature.
On peut être capable de déchiffrer sans pour autant devenir lecteur. L’AFL oppose ainsi la nécessaire « lecturisation » à l’alphabétisation des programmes de lutte contre l’illettrisme.
Exclusion sociale et exclusion de l’écrit s’alimentent réciproquement et constamment.
Pour rompre ce cercle vicieux, la lecture doit être l’affaire de tous et la commune est l’un des lieux pertinents pour atteindre ce but.

Cette série d’affirmations a conduit l’AFL à formuler sept propositions que j’énumère en précisant comment à notre manière nous les avons reprises.

1°) La réimplication de chacun dans la responsabilité et le pouvoir sur les différents aspects de sa vie. Cette exigence peut sembler paradoxale voire choquante (de quoi se mêlent-ils ces intellos ?) Elle est fondée en fait sur sur une analyse clairement marxiste qui a conduit l’AFL à affirmer qu’une collectivité ne secrète finalement que le nombre de lecteurs dont elle a besoin. La proposition inverse en quelque sorte le slogan ministériel en vogue dans les années 80 (une ville qui lit est une ville qui vit) qui devient une ville qui vit (dont chaque citoyen est réimpliqué dans la responsabilité et le pouvoir…) est une ville qui lit.

2°) Écrits nouveaux et circuits courts. L’espoir est que des citoyens « vivants » utiliseront au maximum les diverses possibilités actuelles en fait d’écrits de proximité (sites internet ou blogs, affichage etc.) pour diffuser et défendre leurs idées. La responsabilité de la municipalité est de faciliter ce recours à l’écrit : mise à disposition de machines et initiation à leur emploi (ordinateurs et reprographie) et espaces dédiés à l’affichage etc.

3°) De nouveaux lecteurs. C’est un peu le corollaire. Bibliothécaires et enseignants cherchent à cultiver l’esprit critique mais aussi à transmettre l’amour des « belles lettres ». Il leur est demandé d’offrir aux « nouveaux lecteurs » les outils qui leur permettront de faire des choix (donc y compris de rejeter ce qu’on leur propose) et d’assumer leurs choix dans le foisonnement d’offres qu’apportera un ville vivante.

4°) Une campagne permanente d’information sur la nature et les enjeux de l’écrit, le rapport au savoir et les enjeux démocratiques. Le besoin de cette information est assez reconnu dans certains milieux comme l’éducation ou le monde de la culture. La commune est sans doute un espace privilégié pour atteindre d’autres domaines où cette question peut sembler moins naturelle (monde du sport, de la petite enfance, services municipaux…).

5°) Une formation commune des co-éducateurs (bibliothécaires, enseignants, animateurs, parents, élus…) pour des actions communes. De tels moments de rencontre, de réflexion et d’action où se retrouvent des personnes d’origine, de formation et de statut très divers est un puissant moyen par le croisement des regards d’affinement et d’appropriation d’un savoir que l’on partage mais aussi que l’on crée ensemble.

6°) la mise en réseau de l’existant. Partout il existe dans le domaine de l’écrit une multitude de structures (à commencer par celles de l’Éducation…) qui bien souvent s’ignorent voire peuvent se retrouver en situation de concurrence. Là encore la commune est un échelon particulièrement approprié pour l’information de toutes et tous et pour mener une réflexion susceptible de conduire à une réelle cohérence.

7°) L’utilisation par tous, pour l’écriture comme la lecture d’un outil encore tout nouveau (et hors de prix) lorsque l’AFL est née : l’informatique. Aujourd’hui, l’ordinateur est devenu un produit relativement courant mais souvent utilisé de façon médiocre dans la production de l’écrit et plus médiocrement encore en fait d’entraînement à la lecture. La commune peut jouer un rôle tout à fait irremplaçable en ces domaines en facilitant l’initiation et la mise à disposition et en informant sur les possibilités d’entraînement qui peuvent permettre maintenant une utilisation autonome.

Je n’évoque pas en détail notre façon de mettre en œuvre ces propositions. Bien sûr, cela a été lent, parfois difficile et cela reste toujours à construire. J’insiste en revanche sur un fait : nous avons dans notre ville en quelque sorte créé une huitième proposition. Nous avons décidé d’accorder dans nos choix (il faut toujours en faire dans le gestion) une priorité importante aux actions visant la petite enfance. Une formule du Maire avec qui j’ai travaillé au début résumait avec humour cela : nous sommes peut-être culottés avec nos lecteurs en couche-culotte…

Notre culot d’alors a-t-il payé ? On peut sans doute répondre par l’affirmative. Les habitudes prises avant que ne s’instaurent les barrières sociales et culturelles nous semblent vraiment aider, même si notre bibliothèque connaît (mais peut-être moins que d’autres) l’évasion des adolescents. Le succès qu’elle a rencontré est réel et sans doute les choix que nous avons faits ont-ils une part dans ce succès.

Je souhaite aussi souligner une constante dans notre démarche : nous avons toujours parlé de politique de lecture et d’accès à l’écrit et au savoir, et non comme on disait souvent du « problème de la bibliothèque ». Nous avons toujours posé ces questions en termes de justice et de démocratie, pas en termes de supplément d’âme culturel. C’est sans doute ce qui me paraît le plus important, avec le recul, et il me semble que c’est notre vrai mérite, si nous en avons eu un. De même, le mérite de l’AFL est d’avoir fait de l’exigence démocratique sa première proposition. C’est sur ce point que dans notre ville comme dans bien d’autres des progrès importants doivent encore être faits. Cette exigence doit à mon sens être centrale dans le programme que nous proposons à nos concitoyens, si nous voulons que vivent nos villes. Nous réclamons en faveur de la culture et de la lecture des efforts importants qui se concrétisent en de merveilleux outils. Seule une démocratie réellement vivante empêchera qu’ils ne deviennent des machines à enrichir ceux qui participent déjà de cette richesse et à exclure celles et ceux qui ne franchiront jamais leurs portes.

 

Erdé

illustration: Van Gogh, La liseuse de romans, 1888

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