Peut-on riposter localement au démantèlement de l’hôpital public et de la Sécurité Sociale?
Menaces sur l’hôpital Saint-André, fermeture programmée de l’hôpital militaire Robert Picqué, déséquilibre général de l’offre hospitalière publique dans l’agglomération, démantèlement progressif de l’assurance-maladie par le gouvernement Macron : l’accès aux soins garanti par le service public de la santé n’a plus rien d’une évidence, ni à Bordeaux ni ailleurs. Alors même que la société est confrontée au vieillissement, les infrastructures de proximité ferment, et la couverture financière par la Sécurité Sociale suffit de moins en moins. Les assureurs privés s’en mêlent, et les mutuelles elles-mêmes fonctionnent de plus en plus comme des opérateurs de marché. Pendant ce temps, une politique de prévention erratique et insuffisante échoue à empêcher le retour de certaines maladies, mais aussi la banalisation de la souffrance psychologique. En l’absence de service public municipal de la santé, ces problèmes sont particulièrement prégnants dans l’agglomération bordelaise. D’autres villes, plus petites, se sont déjà dotées de centre de santé municipaux, de mutuelles de santé communales plus accessibles pour les habitants, et d’une politique de dépistage et de prévention plus audacieuse. Petit tour d’horizon des solutions possibles, autour de deux axes : l’auto-organisation, autour la mise en chantier d’une mutuelle citoyenne communale permettant une couverture maladie plus solidaire et accessible à tous les habitants, en parallèle à cette auto-organisation, la mise en place d’un service public municipal de la santé.
Une mutuelle citoyenne communale
Les « mutuelles communales » connaissent un développement important ces dernières années, même si la plus grande ville dotée d’une telle mutuelle, Montreuil (93), est deux fois et demie plus petite que Bordeaux. Mais la réalité juridique de ces mutuelles est complexe. Bien sûr, il est toujours possible de créer ex nihilo une mutuelle et de demander son agrément par l’autorité de contrôle prudentiel comme l’ont fait certaines grandes entreprises. Toutefois, les coûts sont importants, les risques juridiques sont réels et la procédure est longue et incertaine. Il serait aussi nécessaire d’embaucher de nombreuses personnes dotées du savoir-faire nécessaire sur les questions de santé et d’économie du soin. Tout cela rend cette voie difficilement praticable et incite à coopérer avec des mutuelles préétablies. Dans les faits, les « mutuelles de village » sont des offres de groupe proposées aux habitants d’une commune par des mutuelles indépendantes. Certaines petites mutuelles s’investissent fortement sur ce marché, notamment les mutuelles affiliées à la Fédération Diversité Proximité Mutualiste. Mais il y a mutuelle et mutuelle, et il importe d’être vigilant. Ainsi, en-dehors de la FDPM, une mutuelle s’est créée il y a quelques années sous le nom « La Mutuelle Communale », à l’initiative d’un militant bordelais du Front National, et s’est spécialisée sur ce créneau des mutuelles de mairie, avec l’appui des maires FN / RN élus en 2014. La responsabilité politique de la municipalité est donc très importante. Les termes de l’offre sont négociés par la municipalité, le CCAS ou une « association d’assurés » généralement créée ad hoc par la mairie, qui établit un cahier des charges et examine les différentes propositions présentées par des mutuelles qui sont généralement de taille très inférieure aux géants que sont Harmonie, Mutualia ou la MGEN. Il existe différents montages juridiques possibles, qui exigent à chaque fois un travail important des services juridiques de la commune et du CCAS. Enfin, un enjeu important dans une perspective municipaliste écosocialiste serait de garantir qu’à la mandature suivante, une éventuelle municipalité hostile au projet ne puisse pas saborder ce dispositif.
Une piste pour garantir ce contrôle citoyen sur la mutuelle serait de passer par une association d’assurés pensée comme une association citoyenne communale pour la santé. Cette association devrait être aidée par la mairie et le CCAS à son lancement, mais aurait vocation à fonctionner de façon indépendante, ouverte et transparente dès que la mutuelle aura atteint son rythme de croisière. Ce dispositif permettrait de laisser le contrôle direct de l’offre de santé communale aux citoyens indépendamment des aléas électoraux. Une telle structure pourrait établir en toute indépendance et démocratiquement le cahier des charges de la mutuelle citoyenne locale, auquel les mutuelles candidates devraient se soumettre. En particulier, il serait possible à l’association de poser dans le cahier des charges des conditions sur l’implication des habitants de la commune dans la vie de la mutuelle.
Le mouvement mutualiste est enraciné dans l’histoire de l’auto-organisation des travailleurs. Ici, la bannière de la société de secours mutuel des vignerons d’Entraygues (Aveyron).
Concernant la couverture santé, il paraît raisonnable d’imaginer une offre en deux forfaits : un forfait de base à prix modique qui se concentrerait sur la prise en charge des soins optiques, dentaires et gynécologiques et sur le forfait hospitalier ; un forfait plus élevé qui inclurait de meilleures prestations dans les autres domaines. Les mutuelles sont également autorisées à proposer des contrats de prévoyance, par exemple pour les obsèques, et certaines opèrent même directement comme prestataires funéraires. Si elle le juge souhaitable, l’association citoyenne pourrait ainsi choisir d’encourager le développement d’une offre funéraire citoyenne, laïque et mutualiste – ce qui implique aussi que la mairie mette à disposition une salle pour les obsèques civiles et laïques, ce qui est très loin d’être le cas partout. De même, la prévention des conduites à risque et l’éducation à la santé, qui peut inclure un travail sur le sport, sur l’alimentation, mais aussi des permanences dans les quartiers, pourraient être autant de priorités politiques fixées par l’association citoyenne indépendamment des orientations de la municipalité. Mais dans tous ces domaines, rien n’empêcherait la mairie de prendre le relais si l’association citoyenne choisissait de se concentrer sur la couverture santé.
Le service municipal de santé
Mutuelle ou pas mutuelle, on ne fera pas l’économie d’un service public municipal tel qu’il existe déjà dans de nombreuses villes. Dans ce qui suit, nous nous pencherons plus spécifiquement sur le cas de Bordeaux. Une première étape dans la constitution d’un service public municipal de santé serait de conforter et de renforcer l’existant, c’est-à-dire, dans le cas de Bordeaux, le réseau des 17 maisons de retraites communales, dont les moyens doivent être pérennisés et renforcés. Pour ce qui est d’autres mesures de prise en charge du grand âge, la répartition des compétences fait qu’une coopération avec le département devrait d’abord être tentée. Si cette coopération échouait, le CCAS devrait à nouveau se tourner vers le milieu de l’économie sociale et solidaire, le cas échéant à nouveau en partenariat avec l’association citoyenne pour la santé.
Mais dans une perspective communaliste, la permanence des soins pour toutes les classes d’âge ne peut être assurée que par la mise en place d’un réseau de centres de santé municipaux comme ceux existant à Grenoble. Les centres grenoblois reposaient initialement sur une structure mutualiste, mais l’évolution des politiques de santé et le désengagement des autres collectivités font que cette structure est aujourd’hui directement tributaire des subventions municipales (700.000€ / an dernièrement). L’hypothèse d’une municipalisation directe comme elle a pu se pratiquer à Saint-Denis, par exemple, est sans doute plus facilement réalisable à Bordeaux, où il s’agit essentiellement de construire à partir de zéro. Mais l’intérêt de l’organisation associative en termes d’intervention citoyenne ne doit pas être minoré, et pourrait conduire à privilégier la voie plus escarpée du centre de santé indépendant mais subventionné. Pour la même raison, si c’est la solution du service municipal qui est retenue, l’implication citoyenne directe devrait être encouragée dans ces centres, en réservant des places aux usagers et à l’association citoyenne pour la santé dans les instances de pilotage.
La municipalité devrait donc embaucher directement des généralistes, infirmières, pédiatres, aides-soignantes, psychologues, psychiatres et secrétaires médicaux pour assurer le fonctionnement de maisons de santé réparties dans Bordeaux. Un chiffre de trois centres paraît raisonnable à moyen terme. Les quartiers à faible densité médicale devraient être ciblés prioritairement. Si l’on réfléchit ainsi, il serait nécessaire d’établir un 4e centre de santé, mobile, qui aurait vocation à assurer une présence dans les autres quartiers, notamment à destination des personnes et des publics identifiés pour leur précarité dans le domaine de la santé (sans domiciles, habitants de squats et de taudis). Parallèlement, au moins un point d’hygiène et d’accès solidaire à l’eau (bains-douches sécurisés) devrait être créé en centre-ville. Les horaires d’ouverture des gymnases pourraient être revus pour leur permettre de servir ponctuellement de bains-douches-relais.
Les anciens bains-douches de la Bastide (Wikimedia Commons)
Sur le plan des politiques de prévention, une attention particulière doit être portée sur les jeunes publics, avec le renforcement des formations à la santé (physique et psychologique) dans le temps périscolaire et les centres d’accueil. Les centres d’accueil peuvent aussi proposer des formations et des accompagnements aux personnes en situation de précarité. Un diagnostic extérieur devrait être demandé concernant l’usage des drogues à Bordeaux, afin de déterminer s’il existe un besoin pour une salle de consommation à moindre risque accompagnée d’une prise en charge médicale et d’offres de désintoxication.
Le catalogue de mesures à déployer peut donc sembler vaste. Mais un catalogue ne fait pas une politique. Celle-ci doit d’abord viser à garantir la cohérence globale de l’offre municipale et son articulation avec l’existant du côté de l’offre (services publics, acteurs mutualistes, associations) et des besoins (en termes d’hygiène, de grande pauvreté, de mal-logement, de toxicomanie, de pathologies présentes, mais aussi d’accessibilité matérielle des soins). Plutôt que sur un inventaire à la Prévert de mesures gadget non-planifiées et imposées d’en haut, c’est donc sur l’organisation citoyenne et les diagnostics communes par communes que doit reposer l’ambition municipaliste d’une politique générale de la santé.
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