Thomas Cazenave, portrait en acte (2): Quel agenda pour les Bordelais?

Thomas Cazenave se lance donc dans les municipales bordelaises fort de son bagage idéologique à base d’austérité budgétaire, de toute-puissance des managers locaux, de dissolution du droit commun des usagers, le tout nappé d’une épaisse sauce technophile à base d’applications numériques et de big data.

On peut s’interroger sur ce qui pousse l’impétrant à briguer le fauteuil de maire, car si l’on suit sa bible, le rapport CAP 2022, la commune apparaît comme un échelon surnuméraire voué à devenir une coquille vide totalement inféodée à l’intercommunalité (fût-elle pompeusement baptisée « métropole » comme dans le cas de Bordeaux). Ainsi, dans le volet « Education » du rapport, une fois passé le cap des formules vides (la palme revenant à « activer toutes les forces vives présentes sur les territoires », p.63), on découvre (p.65) que l’objectif est de « clarifier les responsabilités des différentes collectivités territoriales afin d’assurer une plus grande équité sur le territoire. » On a bien compris que l’égalité était remplacée par l’équité, en attendant de l’être par la charité, mais comment nos réformateurs entendent-ils « clarifier les responsabilités » au juste ? Réponse : « Au niveau maternel et élémentaire, nous préconisons de transférer les compétences scolaires et périscolaires au niveau intercommunal. » Quelques pages plus loin (p.73), on lit qu’« afin de libérer l’offre foncière, [il faudrait] faire de l’échelon intercommunal le niveau opérationnel de l’ensemble des politiques locales d’urbanisme et de logement, et notamment de l’instruction et la délivrance des permis de construire ». Dont acte… Ce sont donc deux compétences majeures des communes, décisives dans l’élaboration du cadre de vie des habitants, qui passeraient aux mains des intercommunalités, c’est-à-dire vers un échelon à la fois plus vaste géographiquement et donc plus éloigné des habitants, et d’une instance élue au scrutin de liste dans une circonscription unique vers un club de potentats locaux habilités à négocier des contrats de cogestion avec leurs concurrents de la veille, pour court-circuiter les décisions du suffrage universel. C’est bien la peine de parler de civictech et de co-construction du service public par les citoyens si c’est pour donner les clés des politiques à de telles instances. Mais il est vrai que l’intercommunalisation des compétences, c’est l’équivalent local du transfert de compétences et d’initiative réglementaire vers les managers intermédiaires, qui constitue l’épine dorsale de l’organisation préconisée dans le rapport. Encore faudrait-il que Thomas Cazenave nous dise s’il brigue la présidence de l’intercommunalité, faute de quoi on peut soupçonner qu’il n’a pas d’autre ambition que d’utiliser Bordeaux comme une vitrine de relations publiques destinée à asseoir sa réputation de petit ministrable (premier-ministrable ?), pendant que les vraies décisions seront prises par des seconds couteaux dans les arrières-cuisines de la métropole. Il est d’ailleurs intéressant de voir que sa seule déclaration à ce jour sur l’organisation de la démocratie locale consiste à mettre en avant les conseils de quartiers. Certes, c’est devenu un poncif qu’on ne relève même plus, mais en un sens il est déjà très significatif de voir que dans ce dispositif, il s’agit en fait d’attaquer la commune sur deux fronts : par le haut, en transférant de nouvelles compétences au club des notables métropolitains, et par le bas, en fortifiant des conseils locaux non-élus. Encore une fois, on peut s’interroger sur «l’ambition» revendiquée par Thomas Cazenave : elle n’est visiblement pas de nature municipale…

Le tropisme « métropolitain » incarné par Thomas Cazenave ne se manifeste pas uniquement par ce privilège des intercommunalités sur les communes. Il découle en fait d’une vision naïve et technophile de l’organisation géographique de la croissance économique. C’est cette vision que Michel Grossetti et Olivier Bouba-Olga ont baptisé la « mythologie CAME » (compétitivité-attractivité-métropolisation-excellence) dans un travail de grande ampleur où ils s’efforcent de démontrer, indicateurs statistiques à l’appui, que cette conception est en fait invalidée par les faits. Il faut croire que leurs travaux ne sont pas parvenus aux oreilles de la direction interministérielle chargée de l’action publique, puisqu’on peut constater sur la page 17 du rapport CAP 2022 qu’une « métropolisation encore accrue » y est tenue comme un constat de départ parfaitement indiscutable.

Mais ce n’est pas parce que l’idéologie de la métropolisation repose sur des constats erronés que sa mise en œuvre par les n’a pas des conséquences bien réelles. À Bordeaux, elle nourrit une course au gigantisme et à l’attractivité qui aggrave la poussée démographique et l’engorgement de la ville. Deux préoccupations quotidiennes des habitants sont directement liées à cet état de fait : le congestionnement automobile et la pénurie de logements. Alain Juppé avait cru pouvoir résoudre ces problèmes en s’en remettant à la main invisible des mécanismes de marché. Pour la pénurie de logements, cela signifie essentiellement que la mairie et la métropole (où le dossier est cogéré par LR et le PS) ont été spectatrices et complices de l’explosion des prix, ce qu’illustre l’ambiguïté des programmes de réhabilitation du bailleur InCité, même si l’on pourrait aussi citer l’empressement de la métropole à vendre des HLM aux locataires, ce qui revient à diminuer le parc immobilier situé hors marché. La boîte à outils de CAP 2022 portée par Thomas Cazenave s’inscrit dans la même logique : il n’y est jamais fait mention du contrôle des prix, ni des modalités de création et de gestion d’établissements publics fonciers. De façon générale, il s’agit bien de faire prévaloir la logique de marché y compris dans la gestion des bailleurs publics, puisque le rapport préconise de faire basculer les bailleurs sociaux vers un « statut commercial » (p.74) et de diminuer les prélèvements des entreprises dans le 1 % logement. Les spéculateurs peuvent dormir tranquilles…

Concernant les transports, la logique de marché consiste à considérer qu’une taxation incitative suffira à moduler les comportements des habitants, soit en leur faisant renoncer à la voiture, soit en les convaincant de s’installer hors de la ville-centre. C’est l’esprit de la tarification du stationnement résident portée par Alain Juppé, qui faisait fi des obligations des habitants, professionnelles notamment, les forçant souvent à la fois à se rendre quotidiennement au centre-ville et à avoir une voiture. L’absence d’articulation entre transports, urbanisme et aménagement économique transforme par endroits le stationnement résident en racket de populations captives et demeure inefficace pour permettre la sortie de la « civilisation de la bagnole ». Difficile ici de savoir qui est l’élève et qui est le maître, même si le plus probable est que tous les protagonistes soient d’abord des élèves de l’air du temps libéral. CAP 2022 propose ainsi page 110 le développement des péages urbains pour responsabiliser les habitants. Le seul exemple de dispense ou de réduction proposé concerne les voitures électriques, les critères sociaux sont donc totalement absents. Il faut dire que les auteurs du rapport vivent dans un monde merveilleux de sujets rationnels intégralement libres et responsables, la responsabilité étant visiblement elle-même une valeur monnayable. Ainsi page 109 : « on peut choisir le covoiturage plus aisément qu’auparavant. Il n’est donc pas anormal de demander à ceux qui ne font pas le choix de réduire les coûts qu’ils engendrent pour la société d’en prendre une plus grande partie à leur charge. » On notera au passage que si le covoiturage est présenté comme un parangon de mobilité « responsable », c’est qu’on est bien loin d’une sortie de la civilisation de l’automobile…

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Ils ne peuvent pas payer le stationnement résident? Qu’ils fassent du covoiturage!

Et de fait, ce n’est pas le réseau ferré de proximité qui risque de fournir la solution de remplacement accessible à tous : « dans le domaine du transport ferroviaire, [il faut] donner aux régions tous les leviers pour mettre en œuvre une offre de transport de qualité à un coût maîtrisé, comprenant les externalités (pollutions, embouteillages…) et coût de réseau. Il s’agit de transférer aux régions la responsabilité totale du financement du réseau ferroviaire d’intérêt régional, en arrêtant les cofinancements dans le cadre des contrats de plan État – Régions, d’accompagner l’ouverture à la concurrence des trains express régionaux (TER), de rationaliser les services ferroviaires en recherchant les solutions et le cas échéant, les alternatives les plus pertinentes pour assurer l’offre de transport public régionale » (p.97). Bref, il s’agit de promouvoir la politique de démantèlement du réseau national en petites baronnies régionales privatisées et sous-entretenues. Le Réveil a déjà montré, grâce aux informations de la CGT cheminots, que ce projet était très exactement celui poursuivi par Alain Rousset en Nouvelle-Aquitaine, avec les conséquences désastreuses que l’on sait sur l’accessibilité et la fiabilité du réseau.

Il ne faut donc pas se fier au robinet d’eau tiède écolo-libéral que l’équipe de Thomas Cazenave tient grand ouvert depuis plusieurs semaines devant une presse nationale ébahie de tant de fraîcheur et d’à-propos. Le projet politique de Thomas Cazenave n’est pas un projet pour la commune, c’est un projet ordolibéral tout ce qu’il y a de plus banal, pour une métropole imaginaire mais au service d’intérêts capitalistes bien réels. Thomas Cazenave n’est pas qu’un « proche » d’Emmanuel Macron, comme si la proximité personnelle avec Dupont ou Tartempion était une catégorie politique pertinente en République. C’est le concepteur et le maître d’œuvre d’un vaste programme de démantèlement du service public républicain incarné par des agents au service de l’intérêt général de toute la Nation et soustraits à l’arbitraire des chefaillons comme aux injonctions du capital. La victoire des Marchistes à Bordeaux ne serait pas qu’un formidable succès personnel pour le président, mais également une grave menace pour les services publics municipaux et leurs agents, ainsi que pour tous les usagers de ces services publics. Enfin, ce serait le gage d’une poursuite des errements de la dernière mandature sur les sujets qui touchent le plus à la vie quotidienne des habitants et qui ont joué un rôle central dans l’éclosion de la crise des Gilets Jaunes et dans sa vigueur particulière en Gironde.

Qui veut cela ?

Par la rédaction du Réveil

Illustration de l’en-tête: Quentin Metsys, Le Contrat de Mariage.

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