En Direct des Conseils #7: Bordeaux, 8 juillet 2019

« Il arrive un moment où l’arbre il sature, il peut plus stocker plus que ce qu’il n’a déjà stocké. ». (Nicolandré Le Nôtre, 8 juillet 2019, Conseil Municipal de Bordeaux)

Qu’on se le dise, Nicolas Florian a la main verte. Surpassant son illustre inspirateur, l’anglo-saxon Jack, c’est sans l’aide du moindre haricot que l’édile magicien a reboisé en une nuit la place Pey Berland, semant gaiement partout sur les dalles de béton des pots remplis d’arbres luxuriants. Cette forêt urbaine pompeusement nommée «ombrière » , œuvre de l’agence King Kong (ça ne s’invente pas), véritable îlot de fraîcheur en pleine période de canicule, est si touffue que l’hôtel de ville disparaît derrière la frondaison des hibiscus, des oliviers nains et des tiges de laurier-sauce pour peu qu’on se tienne à plat ventre sur le sol, et le bordelais averti aura pris soin de conserver quelques cailloux dans sa poche pour espérer retrouver son chemin à travers la futaie avant la fin des travaux du pont Simone Veil. Depuis les européennes, le vert est à la mode, ce qui n’a pas échappé au rusé binoclard qui s’est pourtant rendu coupable, ainsi que sa majorité, en novembre dernier de l’assassinat de 18 marronniers place Gambetta. Il faut l’admettre : ces arbres étaient trop petits, et Bordeaux doit voir grand. C’est donc tout gonflé de fierté que l’adjoint Robert présente ce jour le « Plan Canopée » et annonce dans la foulée la création du « Comité de l’Arbre » devant un conseil municipal ébahi. Désormais on plantera 3000 arbres par an (contre 1000 actuellement) pour atteindre un total de 20 000 en 2025 – un véritable petit bois ! Quant au Comité (forcément co-constructif), composé d’élus de la majorité et de l’opposition, de citoyens, de chercheurs et d’employés des services municipaux, il aura pour objectif de coordonner la « politique de l’arbre », d’émettre un avis chaque fois qu’on envisagera de faire passer un platane sur le billot et de développer la « pédagogie » (comprendre : calmer les foules en brandissant les certificats médicaux du supposé malade) avant chaque exécution. Course au tourisme oblige, et puisque le patrimoine arborescent a le vent en poupe, Nicolas Florian veut aussi qu’on augmente le nombre d’arbres classés remarquables dans la cité (actuellement au nombre de 42) : quitte à faire du jardinage, autant qu’on puisse le monnayer.

L'installation de l'ombrière Place Pey-Berland

Installation des arbres de la Place Pey-Berland, juillet 2019

Mais voilà qu’EELV commence à critiquer le beau projet arboricole : les jeunes pousses ne stockeraient pas autant de CO2 que les chênes centenaires. C’est bien mal juger du niveau d’expertise du paysagiste en chef Florian qui assène, l’air docte, qu’ « y arrive un moment où l’arbre il sature, il peut plus stocker plus que ce qu’il n’a déjà stocké. ». Il devient donc nécessaire qu’il laisse la place à un nouveau congénère ; on ne saurait trop recommander aux élus sortants d’adopter cette conduite en mars 2020. Le groupe EELV est agaçant : revendiquant son monopole sur tout ce qui contient de la chlorophylle, il ne fait rien qu’à chercher des poux à la majorité. Monsieur Hurmic a eu l’outrecuidance de griller la politesse au Comité de l’Arbre en soumettant au vote en tout début de conseil un vœu pour l’adoption d’une « Charte de l’Arbre Urbain », prônant la protection des arbres face aux menaces d’abattage, et l’extension des surfaces arborées, accompagnant ses propositions d’une litanie émouvante des morts tombés cette année au champ d’honneur (8 poiriers, 13 peupliers, 18 marronniers, 63 platanes…), la voix chevrotante et l’oeil vague. Le bien-nommé conseiller de la majorité Silvestre estime fort à-propos de citer Jaurès (« aller vers l’idéal en partant du réel ») pour fustiger le « ramdam » que font les « Verts » pour une dizaine d’arbres coupés, accusés de s’abstraire du « réel » : « […] il y a là une forme de malhonnêteté intellectuelle […] pas très agréable pour les gens qui essayent de faire en sorte que l’écologie à Bordeaux […] soit le mieux possible et toujours en relation avec le réel, parce que l’idéal, eh ben, on peut pas toujours y arriver. ». Et toc. Bien envoyé. Monsieur Hurmic regrette quant à lui que le maire n’ait pas retenu sa proposition de charte, qui n’était « pas si jusqu’au-boutiste que ça ». Il semble au contraire qu’il faille plutôt commencer à s’inquiéter lorsque ses propositions sont si inoffensives et insipides que tout le spectre politique peut se les approprier. La recherche du consensus a ses limites. L’édile à la pourpre monture a à cœur de montrer à Monsieur Hurmic que son camp s’est verdi tout seul, comme un grand, sans attendre ses prescriptions : « On n’est pas convertis, on est convaincus. […] Ce n’est pas parce que Pierre Hurmic, malgré tout le talent qu’on lui reconnaît […] nous le dit qu’on le fait. Non, il peut en parler, c’est pas pour ça qu’on ne le fera pas, bien au contraire, on le fait nous-mêmes. ». Ou l’inverse. Et vice-versa. Il est vrai que Monsieur Hurmic a commencé son intervention par un provocateur « nous n’avons pas vocation à vous inspirer, nous avons vocation à vous remplacer ». Car ses positions diffèrent de celles de la majorité. Les arbres en pot, c’est ridicule, il faut de la végétation en pleine terre. C’est certainement pour cette raison que le groupe EELV au conseil municipal, par l’intermédiaire de son attachée, a proposé au budget participatif 2019 d’installer dans la ville des bacs de végétalisation mobile, qui se distinguent sûrement des pots floriantesques par leurs petites roulettes, très pratiques pour s’adapter à la course du soleil, comme la girouette suit le sens du vent.

Le « socialiste » spécialiste d’AirBnB s’interroge de son côté sur les causes de l’artificialisation des sols, et la contradiction qu’il y a à vouloir à la fois plus d’espaces verts et dans le même temps plus de logements. Soit on construit plus, et tant pis pour l’artificialisation des sols, soit, assène-t-il tranquillement, on se dit « de toute façon, si on continue comme ça, ça sert à rien de faire des logements parce que dans quelques décennies de toute façon on sera tous morts. ». Emmanuelle Ajon, qui ne s’attendait certainement pas à ce que son collègue se convertisse aussi rapidement à la théorie de l’effondrement, roule des yeux effarés. Nicolas Florian se défend en arguant que l’artificialisation est en grande partie la conséquence de la piétonisation des centre-villes dans les années 80-90. Erreur, lui rétorque l’archiviste en chef Feltesse, car il faudrait remonter plusieurs siècles en arrière pour trouver de l’herbe rue Sainte-Catherine. Emilie Kuziew, maire-adjointe de Bordeaux-Sud, fait remarquer que lorsqu’on consulte le site Internet conseillé par le « socialiste » spécialiste d’AirBnB, nosvillesvertes.com, on constate que les villes mieux classées que Bordeaux ont connu les grands bombardements de la Seconde Guerre Mondiale, ce qui expliquerait qu’elles aient eu l’opportunité de se verdir à la faveur de leur reconstruction, contrairement à Bordeaux. C’était sans compter sur l’historien Feltesse, qui demande fourbement à quelle date Montpellier, classée devant Bordeaux, a été bombardée. François Jay du Rassemblement National, fidèle à lui-même, nie la réalité du réchauffement climatique, et annonce qu’en tant qu’agronome, il ne craint personne sur les questions scientifiques. Et d’illustrer derechef sa thèse par des données particulièrement étayées : depuis 66 ans qu’il vit à Bordeaux, il a toujours fait chaud en juillet. À côté de lui, sa collègue s’évente furieusement pour tenter de trouver un peu de fraîcheur dans cette salle du conseil surchauffée.

En clôture des vœux, le parti dit socialiste propose que le conseil municipal adopte une déclaration contre la privatisation des Aéroports de Paris, puisque les « amis » de Nicolas Florian se sont joints au combat. On apprend à cette occasion que le premier édile y est au contraire favorable, que des amis, il en a beaucoup, et qu’il espère s’en faire « encore plus ». À ce moment, Nicolas Florian ménageait toujours chèvre et chou car il espérait peut-être encore pouvoir négocier avec LREM à propos de la candidature de Thomas Cazenave aux municipales. Peine perdue. Enfin, Vincent Feltesse propose d’inscrire la ville dans le processus d’expérimentation d’encadrement des loyers, dispositif prévu par la loi ELAN, preuve s’il en est d’après lui, du caractère « transpartisan » du texte (!). La majorité refuse au prétexte d’attendre la réunion d’une commission extraordinaire du conseil autour du logement fin septembre. L’inénarrable François Jay, cochant décidément toutes les cases, glapit que l’encadrement des loyers est une « solution communiste » qui conduira à une bureaucratisation de la gestion des logements. Ce qui n’est effectivement nullement le cas aujourd’hui.

Le point d’orgue du conseil est certainement le vote du budget supplémentaire, d’environ 3 millions d’euros. L’élu spécialiste d’AirBnB, et membre du parti dit socialiste, s’était jusqu’à présent tenu tranquille. C’est tout juste si l’installation de pots géants de l’édile aux purpurines bésicles avait essuyé un adolescent « ça fait pitié ». C’est que, comme les grands fauves tapis silencieusement dans les hautes herbes de la savane, il attend le moment propice pour d’un bond gracieux s’abattre sur sa proie. Échaudé par son cuisant échec sur la révision du taux de la taxe d’habitation (voir le conseil municipal de mars 2019), il a cette fois-ci bien préparé son coup, et la gazelle Florian, qui gazouille gentiment sur son budget supplémentaire, pensant qu’il va être voté sans encombres, ne pourra échapper à son admirable coup de griffe. Ou pas. Le vice-président du Conseil Départemental dit socialiste annonce avoir planché tout le week-end avec 4-5 copains, comparé une soixantaine de comptes administratifs de cinq communes différentes pour mettre au jour l’ « insincérité » du budget, et un « système » Florian qui consisterait à maintenir un taux de réalisation en équipements bruts anormalement bas comparé aux autres grandes villes du pays, occasionnant des « emprunts fictifs » ou des emprunts supplémentaires, on ne comprend pas très bien, et annonce qu’il saisira la Préfecture. L’édile, outré, oscille entre colère et circonspection, tellement le discours du conseiller dit socialiste est obscur : il tonne contre sa méconnaissance des questions techniques, et se demande si ses propos ne relèveraient pas « d’espèces de vision » dont il serait victime « dans un état qui s’éloignerait de la bonne santé ». Florian ne voit effectivement pas très bien pourquoi des projets non réalisés et néanmoins budgétisés nécessiteraient de nouveaux emprunts. Et d’interroger ledit conseiller sur le taux de désendettement du Conseil Départemental dont il est vice-président, pour comparaison. Le spécialiste d’AirBnB semble chercher désespérément ses chiffres tout en regardant piteusement ses pieds. À la faveur d’une nouvelle intervention il changera légèrement d’angle d’attaque et expliquera que la contraction d’emprunts pour des projets non réalisés constituerait une technique pour permettre d’équilibrer les comptes de l’exercice précédent. D’après l’édile aux cramoisis lorgnons, il apparaît que la capacité de désendettement de la ville est supérieure à celle du département et que leurs taux de réalisation sont similaires, ce que le spécialiste d’AirBnB, fébrile, ne semble pas en mesure de contester. Ses fiches n’ont toujours pas l’air au point. Encore raté.

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La gauche municipale attaquant férocement le néolibéralisme sauvage.

En plus du Comité de l’Arbre, le premier édile, chantre de la co-construction bienveillante et participative depuis que son centre-ville est peuplé de CSP+ se fournissant à Biocoop et prônant l’éducation non violente, annonce la création de l’ « Échoppe », sorte de maison citoyenne sauce locale. Que de créations aujourd’hui ! Que de bouleversements ! Que d’innovations ! L’ « Échoppe » offrira un lieu de débat et d’information et proposera également un «dispositif itinérant » – déjà existant (à savoir des déambulations, des balades urbaines, etc.) pour faire vivre la citoyenneté « in situ », ainsi qu’un volet digital avec la mise en place du site Internet Bordeaux-débats, déjà utilisé à l’occasion du budget participatif 2019. L’ « opposition » « de gauche » souligne à la fois l’urgence du besoin de démocratie, et les limites des dispositifs proposés par la majorité, dont le problème des participants réguliers aux consultations, qui trustent les places et masquent voire empêchent la participation de population qui demeurent structurellement éloignées de la vie démocratique, et que Monsieur Hurmic nomme joliment les « concertés institutionnels ». Il est vrai qu’en la matière les élus ont su donner l’exemple : sur les 41 propositions retenues par les « électeurs » dans le cadre du budget participatif, une a été proposée par un ancien élu du Parti Communiste, une autre par l’attachée du groupe EELV au conseil municipal, et pas moins de 9 par la mairie elle-même ! Ça c’est de la participation citoyenne non institutionnalisée, ou on ne s’y connaît pas.

Enfin, la concertation à venir autour des boulevards et des barrières permet à l’ensemble des protagonistes de clôturer l’année scolaire en rejouant une dernière fois sa meilleure partition : Vincent Feltesse de rappeler qu’il est le premier à avoir soulevé le problème « en novembre 2013 », le premier édile de s’étonner benoîtement que l’ « opposition » n’ait pas daigné participer à l’élaboration de la délibération, Monsieur Hurmic de déplorer que la majorité réactive un des engagements majeurs du programme de Juppé cuvée 2014 (et toujours pas réalisés) à quelques mois seulement des élections municipales.

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Réalisons le plan d’aménagement des boulevards en quatre ans!

Poète, l’adjoint Robert entre dans la danse et compare les « pôles de vie et de services publics » sur les boulevards tout autour de Bordeaux à autant de « perles » sur un collier. Enfiler des perles constitue malheureusement une bonne part de l’activité des conseils municipaux, quand l’examen de dossiers importants, comme celui du logement, est relégué à des commissions non publiques, ou pire, lorsque celui sur l’accord cadre du deuxième Contrat de Santé Locale, est purement et simplement escamoté faute de temps.

Égal à lui-même, François Jay évoque, à l’occasion de la délibération sur la rallonge des subventions aux associations, sa tendresse toute particulière pour l’association « La Cravate Solidaire » (qui collecte des vêtements à usage professionnel), supposément censée défendre le port de la cravate et prôner une intégration par le costume, au contraire de beaucoup d’autres associations qui entretiendraient chez les migrants la suspicion envers les Français et particulièrement les propriétaires. Lesquels propriétaires, pour certains accusés d’être des marchands de sommeil par le conseil municipal (on se demande bien qui !) seraient honteusement livrés à eux-mêmes dans le cas des procédures de Droit de Préemption Urbain (là encore, on se demande bien qui !). Cette dernière intervention finit sous les huées de la salle. Puis tout le monde se lève précipitamment pour aller boire un rafraîchissement dans la salle à manger voisine.

Réouverture le lundi 7 octobre à 15h. Entrée gratuite. Venez nombreux.

Pâquerette Gracile

Illustrations:

René Magritte, L’état de veille, 1957.

Image extraite de Son of Kong, film de 1933 par Ernest B. Schoedsack.

Auguste Renoir, Fille au Chat, 1875.

Affiche de propagande soviétique, années 1930. « Mobilisons-nous pour réaliser le projet de Staline pour la reconstruction de Moscou – le plan de Staline ne peut pas rester inachevé ».

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