Marianne von Werefkin

Après la « raclée »

L’ami Erdé, ou R.D., prend sa calculette, nous présente le bilan électoral chiffré de dix années de militantisme pour la révolution citoyenne et l’écosocialisme dans l’agglomération bordelaise, et en tire des propositions.

La très vive déception ressentie après les européennes, partagée par beaucoup d’Insoumis et largement soulignée dans la presse, m’a conduit à reprendre systématiquement dans notre secteur nos résultats aux élections européennes, législatives et présidentielles depuis 2009, qu’il s’agisse de résultats du Front de Gauche ou de la FI.

Ce qui suit est fondé uniquement sur les résultats détaillés de Bordeaux, ce qui donne déjà une base relativement importante. Je pars d’abord des résultats globaux mais j’esquisse ponctuellement un examen plus précis, au niveau des cantons (anciens ou nouveaux) et parfois des bureaux, ce qui permet de repérer d’élection en élection ce que j’appellerais volontiers des tendances lourdes pas forcément visibles quand on est confronté aux déceptions qu’amène trop souvent la réalité.

Le classeur que j’ai bricolé pour réunir ces résultats (ils sont pour la plupart disponibles sur le site data.gouv) est à la disposition de celles/ceux qui le demanderont malgré les défauts qu’il peut avoir : le grand nombre de données que dans certains cas j’ai dû recopier « à la main » peut en effet avoir engendré des erreurs, mais j’ai procédé à des vérifications entre mes totaux et les résultats globaux publiés sur le site du gouvernement, ce qui limite ce risque.

1ère « tendance lourde : nos résultats aux Européennes ont progressé en nombre de voix et globalement en pourcentage de 2009 à 2019:

  • En 2009, Jean-Luc, danss la dynamique du Front de Gauche naissant, obtient un score le plus souvent très éloigné des dernières contre-performances du PCF et notamment du score sanction infligé à la malheureuse Marie-George. C’est particulièrement vrai en termes de pourcentage. Sur Bordeaux Rive droite, dans un secteur où l’électorat populaire est très présent, le PCF obtenait aux législatives 3,35 % J-Luc obtient 9,29 % et double presque les voix, mais dans le canton qui inclut Bacalan (secteur où Vincent Maurin était un excellent candidat local du PCF) il obtient seulement un pourcentage proche de celui de ce dernier (9,20 contre 9,55) mais avec un déficit de 275 voix environ. Sur Bordeaux, il est à 3.367 voix et 5,99 %. Pour mémoire, Marie-George Buffet en 2007 avait obtenu 1.534 voix et 1,39 %…
  • En 2014, malgré les difficultés que traverse le Front de Gauche, Jean-Luc obtient à Bx 3.560 voix et 5,79 %. Le résultat en voix est donc en progression, certes modeste mais réelle. En revanche, l’abstention étant moins élevée, notre pourcentage est en diminution de 0,20 %. Un examen détaillé des résultats de certains bureaux ou de tel ou tel ancien canton (voir plus loin) montre qu’il y a eu en effet des difficultés mais, globalement, le nombre d’électeurs ayant voté pour JLM a un petit peu progressé.
  • En 2019, la tête de liste n’est plus JLM en personne mais il est très impliqué dans la campagne. La progression est cette fois plus nette : 4.725 voix et 6,20 %. Par rapport à 2014, 4.725 voix, c’est plus de 1.000 voix de mieux, presque un tiers (28,96 %) d’augmentation. Par rapport à 2009, c’est 1.368 voix de mieux et une augmentation de 40,33 %. Loïc Prud’homme et Marie Duret-Pujol ont donc eu raison de mettre en perspective dans leur lettre les résultats de 2019 avec les précédents. Reste la « raclée » bien réelle dont causait un insoumis « mal élevé »…

2ème tendance lourde : la très importante déperdition de voix entre d’une part les présidentielles et d’autre part les législatives puis les européennes.

Bien sûr, en disant cela, j’enfonce des portes ouvertes depuis longtemps. Je prends seulement un exemple personnel. Je n’ai été qu’une fois candidat à une élection autre que municipale, c’était en 2011 pour les cantonales. Nous étions heureux, Françoise Cantet (la candidate communiste dont j’étais le suppléant au nom du Parti de Gauche) et moi, d’avoir presque égalé avec 12,89 % le pourcentage (12,98%) obtenu à Floirac par JLM en 2009. Il nous avait suffi de comparer les nombres de voix pour avoir conscience de la réalité : quelles que soient nos éventuelles qualités, nous n’étions pas Jean-Luc et la participation aux cantonales n’a rien à voir avec celle qu’on constate aux présidentielles.

Il n’est pas inutile malgré les portes grand ouvertes de comparer les deux périodes (2012-2014 et 2017-2019) et de regarder de près comment les choses se sont passées sur le terrain.

Les pourcentages recopiés ci-dessous correspondent à la perte de voix « évaporées » entre les diverses élections, parfois très proches les unes des autres.

A) La période 2012-2014

1°) Présidentielles 2012/Législatives 2012

Résultat global de Bx : 59,94 % de voix « évaporées » entre les deux élections. Le pourcentage est nettement moindre (55,80%) sur l’ex-canton 6 (celui qui appartient à la circo 3). Bien moindre encore sur le canton 1 (50,66%) où Vincent Maurin se paie le luxe d’avoir sur le bureau Achard 1 un plus grand nombre de voix (+25 %…) que JLM quelques semaines plus tôt. Il devait y avoir dans ce quartier (proche par ailleurs de l’école dont Vincent était directeur) quelques communistes « identitaires »… A contrario, le même Vincent Maurin atteint sans surprise le % de perte le plus élevé dans le canton 8 correspondant en gros à Caudéran : plus de 70 %. L’évolution des voix dans les bureaux correspondant à d’autres quartiers populaires que Bacalan serait aussi intéressante, mais il faudrait faire ce travail avec une carte des secteurs.

2°) Présidentielles 2012/Européennes 2014

Résultat global : 71,72 % de perte de voix. Comme beaucoup, j’avais perçu l’importance de cette « évaporation », mais la très forte différence entre législatives et européennes (presque 12 % supplémentaires…) m’a surpris. Pour exprimer les choses autrement, les candidat(e)s aux législatives, avec des variations selon les quartiers et les candidat(e)s divisent en moyenne par moins de 2,5 le nombre de voix obtenues par JLM aux présidentielles mais Jean-Luc en personne, candidat aux européennes, avec toutes ses qualités et avec une campagne bien menée, divise, lui, son propre nombre de voix de 2012 par plus de 3,5. Il me semble donc qu’il y a peut-être à chercher du côté des deux campagnes mais plus encore du côté de la situation du candidat, surtout si l’on retrouve un phénomène comparable dans la deuxième période.

B) La période 2017-2019

C’est en effet comparable, mais le pourcentage de perte augmente encore. Je n’évoque d’abord que les pourcentages globaux, mais là aussi les résultats détaillés sont souvent fort intéressants.

1°) Présidentielles 2017/Législatives 2017

Résultat global à Bx : 63,53 % de perte. Les candidat(e)s divisent cette fois par presque 3 le nombre de voix obtenues par Jean-Luc aux présidentielles.

2°) Présidentielles 2017/Européennes 2019

Résultat global : 82,10 % de perte de voix entre les deux élections, c’est à dire que le nombre de voix de Jean-Luc en 2017 est cette fois divisé par plus de 5 ! Dans certains quartiers cela peut même aller encore plus loin.

Quelques exemples dans des quartiers populaires :

  • Sur la rive droite, déjà évoquée pour l’élection de 2009, au 1er bureau de la rue de Nuits le taux de perte de voix atteint 90,91 %, c’est à dire que le nombre de voix obtenu par Jean-Luc a été divisé par plus de 10 ! Les deux autres bureaux sont respectivement à 85 et 84 %, tandis qu’à Benauge 1, on est à 86,43 %, ce qui correspond à une division par plus de 7 du score obtenu par Jean-Luc deux ans plus tôt.
  • Dans la partie rive gauche du nouveau canton 5, on trouve aussi des taux supérieurs à 83 %. Ainsi à André Meunier 1 et 3, à Cazemajor 2 ou encore à Francin 1.
  • Du côté de Bacalan, la comparaison est parfois difficile du fait de modification des bureaux (Secteur Achard évoqué plus haut). Il en est de même aux Aubiers. Mais dans les secteurs non redécoupés, inclus dans le quartier ou proches, on trouve des taux « d’évaporation » supérieurs à 83 %: 84,21 % à Balguerie 3 et 87,88 % au 1er bureau ou encore 84,40 % à Dupaty 1, 85,06 % au bureau 4 et 87,24 % au bureau 3.
  • Dans le reste du nouveau canton 1, on peut relever au Grandd Parc 83,75 % au bureau 2 et 85,71 % au bureau 4 tandis que les bureaux 1 et 3 de Mongolfier tournent autour de 88 %.

A contrario, on trouve aussi des pourcentages de perte élevés dans certains « beaux quartiers », par exemple du côté de Caudéran le bureau 2 de Paul Doumer atteint presque 94 % de perte !

Bien sûr, le candidat n’était plus Jean-Luc, mais celui-ci s’est énormément investi dans la campagne aux côtés de Manon, jusqu’à provoquer les coups de palme du Canard Enchaîné avec la couleur d’une cravate et les affiches mises au pilon. Je crois que nous devons renoncer à un certain nombre d’explications qui peuvent avoir une part de vérité mais ne rendent pas compte d’une situation complexe (je crois qu’on a beaucoup employé cet adjectif; je le maintiens quand même car il me paraît irremplaçable ici). En voici quelques-unes :

  • C’est la faute à Manon. À mon sens, c’est totalement faux. Comme d’autres, j’avais pensé à une autre tête de liste féminine, mais Manon, du fait de son passé, était une excellente candidate et elle l’a largement et brillamment confirmé sur le terrain.
  • C’est la faute à Méluche. Nos nous sommes toutes et tous fait agresser (vous avez vu ce qu’il a fait, ce qu’il a dit, le plomb qu’il a pété, ce qu’on a écrit ici, ce qu’a dit celui-là…) Mais qui d’entre nous n’a pas entendu aussi des formules du genre Je voterai quand même pour lui, car il est le seul à parler comme il je souhaite qu’on parle ?
  • C’est la faute aux Européennes, qui ne mobilisent pas le peuple et sont difficiles pour nous. Certes, c’est une réalité, mais ne serait-ce pas à nous de mobiliser le peuple ? Et puis, cela n’explique pas que Jean-Luc ait obtenu en 2009 un meilleur pourcentage qu’en 2014, malgré l’influence de son très bon résultat aux présidentielles de 2012.
  • Nous avons une position critique sur l’Europe libérale et il n’est pas facile de s’expliquer. Certes, mais nous avons aussi une position critique sur le capitalisme vert. On met en cause notre critique mais personne ne nous reproche de dire que le problème dans le capitalisme vert, c’est la couleur ! Concernant l’Europe, il me semble en revanche qu’on ignore l’adjectif et que nous sommes souvent considérés tout simplement comme anti européens.

Je crois vraiment que nous payons notre ambiguïté sur l’Europe et que « les gens » nous voient comme des hypocrites qui pour ratisser large prétendent hésiter entre la chaise A et la chaise B mais qui sont en fait déjà assis sur cette dernière. Et je ne suis pas sûr que cette perspective enthousiasme grand monde, il suffit de regarder le score recueilli par Asselineau et son Frexit. Je pense que beaucoup, notamment chez les jeunes, identifient l’Europe à la possibilité de voyager avec une simple carte d’identité, à la libre circulation des personnes plus qu’à celle des seuls capitaux, et ne sont pas prêts à y renoncer… Il me semble que nous avons à préciser notre position et surtout notre projet pour l’Europe et ce que nous prétendons faire au parlement européen. Dans la campagne, certains électeurs un peu attentifs ne se privaient pas de rappeler qu’on a mis en cause l’assiduité de Jean-Luc et que celui-ci s’en est défendu en parlant du cirque européen…

Je reviens à ce que nous disent les résultats détaillés. Il me semble qu’ils doivent tout d’abord nous faire prendre conscience du caractère exceptionnel de la performance de Jean-Luc, candidat à la Présidence, dans le cadre spécifique voulu par Charles de Gaulle pour cette élection. Par deux fois, Jean-Luc a admirablement endossé le costard que d’autres avaient taillé sur ordre du « Grand Charles » et il y a bien eu rencontre entre un homme et « son » peuple. C’était particulièrement sensible lors de grands moments comme l’appel à (re)prendre la Bastille mais aussi localement lors de réussites comme celle du Fémina fin 2016 ou d’autres meetings.

Nous pouvons tirer de cette réalité deux leçons :

  • Nous ne sommes pas « propriétaires » des voix obtenues ainsi. Ni nous, insoumis qui essayons de travailler localement ni même Jean-Luc, les européennes le montrent bien. Dans une réunion floiracaise, un ami nous disait « à Floirac, nous avons fait plus de 30 %… » Non, à Floirac, Jean-Luc a obtenu ce résultat remarquable dans le cadre très particulier de l’élection présidentielle. C’est une réalité sur laquelle on peut s’appuyer dans d’éventuelles négociations mais que nous devons apprécier avec rigueur sous peine de graves déceptions.
  • Ce résultat remarquable, Jean-Luc est allé le chercher pour une bonne part dans les quartiers populaires, là ou domine toujours l’abstention, suivie le plus souvent par le FN. Son score atteint dans ces quartiers (et souvent dépasse allègrement) le seuil de 30 %, alors qu’il a été de 23,43 % sur l’ensemble de Bordeaux en 2017. Nous devons essayer de comprendre les raisons de cette embellie et celles des lendemains qui déchantent.

Il y a là un enjeu important. Dans un même bureau, tout à fait représentatif des quartiers populaires, 231 électeurs avaient voté pour Jean-Luc en 2017. Ils ne sont plus que 21 en 2019 à voter insoumis.

210 donc, soit exactement dix fois plus, sont comme on dit allés à la pêche ou sont venus grossir les rangs des « gars de la Marine ». Il nous faut comprendre les raisons de cet échec. Une diminution, par exemple, d’un quart cette « évaporation », aurait permis de multiplier par plus de 3,5 le score réellement obtenu et une diminution de la moitié l’aurait multiplié par plus de 6 !

Bien sûr , il n’y a là que de vaines spéculations. Elles n’ont d’autre intérêt que de montrer l’importance de l’enjeu et de souligner le terrain sur lequel la bataille doit être menée.

Je me permets pour m’expliquer un détour du côté de mon passé. Au Conseil Municipal de Floirac nous avons beaucoup travaillé à essayer de définir et de mettre en place ce que nous appelions une politique de lecture. Nous avons été aidés par un mouvement pédagogique, l’Association Française pour la Lecture qui avait l’originalité de faire des propositions aux communes. Celle qui venait en tête était présentée ainsi : réimpliquer chacun(e) dans la vie de la cité.

Je crois profondément à la pertinence de cette proposition, et je ne pense pas être hors sujet en évoquant ce passé : le rapport avec la confrontation aux résultats des élections me semble réel. Si l’on étudie les bureaux correspondant à ces quartiers qu’on a dit prioritaires, en DSU etc. mais dont la principale caractéristique est l’omniprésence de la pauvreté et de l’exclusion, on est, comme dans le cas évoqué plus haut, face à un vide effroyable. Il faut compléter les pourcentages de perte que j’ai rapportés par l’examen de l’abstention et celui du vote FN. Il faut partir du fait que, malgré tout ce désespoir et cette exclusion, Jean-Luc a pu se faire entendre…

Nous n’avons pas sans doute son charisme et ses qualités mais nous pouvons réfléchir à ce qui lui a permis d’être entendu. Il me semble qu’au-delà de ses qualités de tribun, de son esprit voire de son charme et même du « costard » évoqué plus haut, il a su essentiellement convaincre qu’avec lui quelque chose pourrait changer. Convaincre, d’une certaine façon de l’honnêteté de sa démarche. Il me semble que nous avons à réfléchir non seulement aux propositions que nous voulons faire aux citoyens mais aussi à la place qu’ils auront dans l’élaboration de ces propositions, à la place que nous faisons à leur difficultés et à leurs exigences et tout simplement à la place que nous leur laissons réellement. Des hommes des femmes se sont levé(e)s, ont endossé un gilet jaune, au début pour râler contre taxes et augmentations et peu à peu leur réflexion s’est approfondie et leurs exigences ont changé, devenant parfois aussi claires que radicales (Macron, Démission !). Il faut trouver le moyen de travailler avec eux.

Dans un contexte de concurrence acharnée (Plus démocratiquement participatif que moi, tu meurs!) nous avons certes à dénoncer les supercheries participatives et à élaborer des propositions claires. Des déclinaisons locales du RIC sont envisageables, on peut ressusciter d’anciennes propositions comme les commissions extra-municipales, exprimer des exigences en termes de comptes rendus de mandat, et de documents budgétaires lisibles permettant une élaboration collective que pratiquent certaines communes et qui n’a pas grand-chose à voir avec les budgets participatifs. Internet (mise à disposition en temps utile de documents, comptes rendus, élaboration collective, vidéos possibles des conseils…) peut favoriser la « réimplication de chacun(e) dans la vie de la cité ».

Nous avons sans aucun doute le devoir de réfléchir aux alliances possibles et surtout de faire des propositions claires, mais il faut (c’est à mon sens une question d’honnêteté…) trouver le moyen de le faire en associant celles et ceux qui s’excluent ou sont exclu(e)s de tout, et en premier lieu du vote, les résultats des élections passées ne le montrent que trop.

R.D.

(illustration: Marianne von Werefkin, Der Lumpensammler, 1917)

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