Thomas Cazenave accueilli par la presse

Le Cri du Peuple #5: Il est né le divin enfant

… et la presse du capital chante en choeur son avènement.

Jouez hautbois, résonnez musettes ! Une étable à Matignon est son logement, un TGV est sa couchette. Il veut nos coeurs, il les attend, il est pour faire leur conquête.

Thomas Cazenave, normalien (comme Juppé mais pas comme Macron), énarque (comme Juppé et Macron), inspecteur des finances (comme Juppé et Macron), membre de la commission Attali (comme Macron), parti pantoufler dans le privé (comme Macron) avant de revenir travailler à Bercy (avec Macron), nous fait l’honneur de revenir au païs pour devenir maire de la ville de ses parents où il ne se montrait pourtant plus – il faut croire qu’à LaReM, on s’est définitivement converti au droit du sang. Quel honneur ! Une pluie de monoï tombe sur la ville, et on a vu refleurir les arbres sur le parvis de l’Hôtel de ville. Ô Cazenave, tout petit enfant que vous êtes, Ô Cazenave tout puissant, régnez sur nous entièrement ! Sud Ouest hésite, préférerait sans doute un duel Florian / Hurmic mais ne veut pas insulter l’avenir. Le Monde et le JDD font campagne et nous expliquent que c’est un « Macron en puissance », ce qui est sans doute censé vouloir dire qu’il est doté d’une incommensurable intelligence et que l’on devrait s’estimer heureux qu’il redescende à Bordeaux. Qu’il y redescende, ou qu’il y condescende… Pour un roi, quel abaissement ! Donc, un nouveau petit Macron, investi directement sur un caprice du Prince, (« c’est le seul pour lequel il n’y ait pas eu de discussion », nous dit le JDD), tout ça à la barbe d’une municipalité bordelaise tout ce qu’il y a de plus réformatrice, centriste, libérale, progressiste, européenne – n’en jetez plus.

Un nouveau Macron, donc, qui comme son maître et ami, trouve moyen de faire campagne tout en exerçant de hautes responsabilités nationales, car derrière le titre ronflant de « Délégué interministériel à la transformation publique », il y a un vrai boulot : mettre en œuvre le rapport « CAP 2022 » (tout un programme…) qui vise à réduire drastiquement les dépenses consacrées aux services publics, à casser les statuts de corps entiers de fonctionnaires, à promouvoir les partenariats publics-privés et à fermer des points de contacts entre les services publics et la population : vous n’avez qu’à remplir un formulaire sur internet – d’ailleurs le merveilleux site de vote en ligne pour le référendum sur la privatisation d’ADP vous montre que l’État est prêt… Délicieux programme dont Bordeaux serait le laboratoire une fois les clés laissées à ce jeune et brillant maire qu’attend déjà ardemment une population qui a fait de Bordeaux la capitale des Gilets Jaunes. Ou pas ? Le numéro est connu : avec Chaban puis Juppé, Bordeaux se donnerait toujours à de sémillants conquérants venus de l’extérieur (on notera qu’à chaque fois la vision du monde de ces jeunes et fringants managers traduit un drôle d’imaginaire militaro-phallique).

Mais le jeune dieu doit avoir une envergure nationale. Chaban avait fait le coup de feu contre les Nazis et largement contribué à la libération de la capitale, Juppé avait connu le succès à Paris comme député et ministre. Cazenave, lui, a inauguré son job de n°2 de la DRH de France Télécom Orange au printemps 2011 par l’annonce d’un suicide à Mérignac, a rapidement pris la poudre d’escampette (pardon : a été appelé à d’autres responsabilités au diapason de son talent) et depuis il fait des sauts de grenouille d’un cabinet à l’autre. Chacun ses grandes heures…

Licorne

Emmanuel Macron (2019), Thomas Cazenave à la conquête de Bordeaux.

Mais le blé a mûri, et aujourd’hui c’est l’heure de la récolte : Bordeaux doit s’offrir. A moins, bien sûr, que l’époque où en politique aussi on chantait le Rédempteur en demandant au « peuple à genoux » de bien vouloir gentiment « attendre [sa] délivrance » sans faire de bruit, à moins donc que l’époque où on confondait campagnes municipales et cantiques de Noël ne soit révolue. Le choeur s’arrête, les gueux font du bruit : vous comprenez ma bonne dame, le peuple en a assez d’être à genoux, merci mais non merci on ne va peut-être pas l’attendre indéfiniment, la délivrance, si ça continue comme ça on va se servir. Et voilà donc que le TGV arrive avec du retard, on n’a pas attendu, on s’est délivré soi-même, il n’y a plus personne pour aller récupérer le Rédempteur à la gare. Et l’homme providentiel, l’archange terrassant d’un seul geste dépense, agents et fonction publics, le Messi(e) de l’agilité, du win-win et de la réforme réformatrice et réformante, se retrouve à rouiller dans la même voie de garage que les sauveurs disgraciés des fois précédentes, les Rousset et les Feltesse. Mais pas de panique, dans ce cas la SNCF saura bien convoyer le jeune dieu vers d’autres cieux plus dignes de lui : Une étable à Matignon est son logement, un TGV est sa couchette.

Illustrations:

L’adoration des rois mages – Rogier van der Weyden (vers 1455, Munich, Alte Pinakothek)

La Licorne – Salvador Dali (1984)

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