Dans la jungle des villes

Sous la canicule et l’orage, les expulsions et le harcèlement des réfugiés continuent.

L’été, quand les médias tournent au ralenti, quand les habitants sont en vacances ou les attendent, et quand la canicule dissuade de sortir de chez soi si ce n’est pour aller au bord de l’eau ou au cinéma, les gouvernements et leurs représentants ont l’habitude de jeter le masque et de faire un peu plus franchement ce qu’ils veulent. Fabienne Buccio, la nouvelle préfète de Gironde et de Nouvelle-Aquitaine nommée en remplacement du trop fameux Didier Lallement parti sévir à Paris, semble appliquer cette maxime. On se demandait ce que l’ancienne préfète du Pas-de-Calais, entrée dans les annales pour sa gestion autoritaire de la « jungle » de Calais entre 2015 et 2017, ferait en Gironde. Depuis début juillet, on a la réponse : la même chose qu’à Calais.

En juin dernier, le Conseil de Bordeaux Métropole discutait des 130 squats de l’agglomération, où vivent 2000 personnes, majoritairement des citoyens de l’Union Européenne (notamment des Bulgares et des Roumains) mais aussi des Arméniens, des Albanais et des Kosovars, ressortissants d’un délicieux « pays » porté sur les fonts baptismaux par l’OTAN, soutenu à bouts de bras par l’Union Européenne, mais dont le Premier Ministre vient de démissionner après avoir été mis en cause pour crimes de guerre, et dont le Président pourrait bientôt être inculpé pour le même motif. L’occasion de rappeler que le même gouvernement qui entend réprimer l’installation des migrants en France n’est pas exactement étranger aux causes de leur départ vers notre pays… L’intercommunalité vient d’adopter un premier plan d’accompagnement visant à prévenir l’installation des exilés dans des squats, à encadrer ceux-ci pour éviter les conflits de voisinage, et à prendre en charge les ex-habitants des squats. Parallèlement, une convention a été adoptée en juin pour améliorer l’accueil et l’intégration (sociale et linguistique notamment) des personnes concernées. Il faut d’ailleurs noter que sur ce point, le nouveau maire de Bordeaux a à son actif des déclarations plus humaines et plus réalistes que la moyenne des édiles de son camp politique, qui sont rarement en retard d’une provocation démagogique en la matière. Reste à voir si elles seront suivies d’effet… C’est dans ce contexte que la préfète a décidé de « fermer le plus de squats possibles », selon ses propres termes, et que ses services multiplient les évacuations de force. Si les versions des uns et des autres divergent concernant la prise en charge des migrants par les services de l’État et les propositions de relogement, force est de constater qu’aujourd’hui, ils sont des dizaines et des dizaines à être à la rue sous les fortes chaleurs.

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La CGT a ouvert en urgence la Bourse du Travail aux personnes délogées et assure une partie importante du travail d’accueil et de soutien

Dans un premier temps, un mouvement de soutien s’est mis en place qui va au-delà des militants des droits humains et des associations de solidarité avec les migrants. Il faut en particulier saluer le rôle des syndicats, et notamment de la CGT et de la CNT, qui ont surmonté pour l’occasion leur rivalité historique en Gironde. L’Athénée Libertaire de Bordeaux a pris le relais, et aujourd’hui c’est la société civile organisée qui pallie la démission des pouvoirs publics. Nicolas Florian a promis l’ouverture en urgence d’un gymnase. Effectivement, cette crise sera une occasion de voir ce que valent ses déclarations sur le sujet. La coïncidence entre les délibérations de la métropole et l’intervention de la préfecture ne laisse pas d’interroger : S’il s’agit uniquement pour la préfecture de faire appliquer des décisions de justice, comme elle l’explique, les maires avaient-ils été prévenus de ces expulsions dont ils auraient à gérer les suites ? C’est l’usage… Que penser alors de la mollesse de leurs réactions ? Y a-t-il une répartition du travail entre « gentils flics » de la métropole et « méchants flics » de la préfecture ? Ou bien la préfète a-t-elle délibérément décidé de prendre de vitesse les élus locaux pour imposer un agenda sécuritaire beaucoup plus dur que le leur ? Une fois la crise passée, ce sont des interrogations auxquelles il faudra apporter une réponse, car la première pose la question de la sincérité des élus, et la seconde soulève le problème de l’agenda politique propre de l’appareil sécuritaire d’État. Ce dernier problème a également été illustré, de façon dramatique, par la doctrine d’intimidation et de répression que le commandement des forces de police a mise en œuvre dans tout le pays ces derniers mois en marge du mouvement des Gilets Jaunes, et par la probable noyade de Steve Caniço à Nantes, sans doute tombé dans la Loire lors d’une charge policière contre un concert lors de la Fête de la Musique. Y a-t-il un «  État profond » en France ?

Athénée Libertaire

L’Athénée Libertaire, 7 rue du Muguet, assure un accueil de jour

Assurément, l’augmentation du nombre de personnes vivant en squat est un problème, ou plutôt c’est le symptôme de deux problèmes : la crise du logement à l’échelle de la métropole, et le déni de l’État face à la situation des migrants. La préfète rappelle à juste titre que bien souvent, ces exilés ont été les victimes de passeurs mafieux. Il serait souhaitable de s’en souvenir pour autre chose que pour déloger ces mêmes victimes en période de canicule. Mais ces réseaux mafieux dérangent moins le gouvernement lorsqu’il entreprend, via l’UE, de les rémunérer directement pour qu’ils se chargent eux-mêmes d’empêcher leurs propres clients de passer la frontière, comme cela est le cas sur la rive sud de la Méditerranée. De la même manière, l’existence de filières semi-mafieuses encadrant l’arrivée d’une partie des ouvriers bulgares et roumains du tram est un secret de polichinelle depuis des années, et on a bien l’impression qu’elle en dérange davantage certains maintenant que le gros des travaux est terminé. Là aussi, les grands élus pourront difficilement s’en sortir sans examen de conscience… C’est la somme de toutes ces hypocrisies et de ces démissions, de Bordeaux à Bruxelles en passant par Paris, que ces malheureux paient aujourd’hui. Tant qu’aucun gouvernement authentiquement républicain ne se sera saisi de la question pour traiter les causes économiques, sociales et politiques des migrations, les déclarations de grand ménage des services de l’État auront bien du mal à passer pour autre chose que pour un prurit autoritaire et inefficace. Faut-il rappeler ici que d’autres villes ont su régulariser des squats en réquisitionnant les immeuble concernés, en les mettant aux normes et en faisant intervenir les services sociaux pour arracher les personnes concernées au vase clos dans lequel certains voudraient les tenir enfermées ? Que fait Bordeaux ? Que fait la Métropole ? Où est le Département ? Bordeaux est un port et se targue d’être une ville-monde. Il serait temps de comprendre ce que cela veut dire, et de renoncer au fantasme selon lequel on réglerait le problème des exilés à coup d’évacuations musclées.

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