Acte 2 : La mobilité dans un fauteuil
C’est donc le moment pour Alain Anziani de reprendre les rênes et de piloter la suite de la séance.
Comme le veut l’usage, on commence par les affaires regroupées, chaque groupe égrainant les numéros des affaires sur lesquelles il s’abstient ou vote contre. Personne n’a demandé à dégrouper l’additif budgétaire, il n’y aura donc pas d’autre débat financier, ce qui aurait pourtant pu être intéressant puisque le PCF fait savoir qu’il s’abstient, confirmant par là que des quatre signataires du pacte cogestionnaire, il est sans doute le plus tangent.
François Jay met à nouveau un peu d’animation dans la salle, comme le veut son rôle d’épouvantail officiel, en énumérant une série interminable d’abstentions et un vote contre. Le président parvient alors à faire rire la Cour (ou la basse-cour?) métropolitaine par un grinçant « vous n’êtes pas venu pour rien alors ». L’acte 3 montrera que non, le si comique représentant de l’extrême-droite, à la présence duquel tout le monde semble s’habituer, n’est pas venu pour rien…
Mais en attendant, la parole passe à Christophe Duprat, l’omniprésent vice-président aux infrastructures, pour présenter la nouvelle tarification des transports en commun métropolitains (TBM). La délégation de service public qui court jusqu’en 2022 fixait d’avance le montant des hausses de prix du ticket et des abonnements, que le Conseil est toutefois prié d’avaliser. Le PS et EELV regrettent le retard pris par la mise en place de la tarification solidaire, que Christophe Duprat impute à un problème de déploiement des nouveaux billets qui en constituent selon lui un préalable. Clément Puech-Rossignol, en particulier, signale que la Métropole ne satisfait pas à ses obligations légales envers les bénéficiaires de l’aide médicale d’État et demande la mise en place exceptionnelle de la gratuité pour les 4000 personnes concernées. L’échange permet d’ailleurs d’apprendre que le maire EELV de Bègles négocie directement avec Patrick Bobet sur ce dossier, et que le vice-président Duprat n’est pas dans la boucle des négociations, si bien qu’il en sait moins sur l’avancement du dossier que celui qui l’interroge. Mais bien sûr, la Métropole n’est absolument pas un endroit où les vraies décisions se prennent entre trois ou quatre grands maires devant un café en contournant les instances supposément décisionnaires, instances auxquelles EELV n’a de cesse de bramer son attachement quand il s’agit d’apporter une justification « démocratique » à son engagement pour des transferts de compétences toujours plus importants des villes vers les intercommunalités. Mais passons.
Michèle Delaunay, chantre « socialiste » de la silver economy (comprendre : le capitalisme des vieux) prend la parole pour demander de « renouveler nos paradigmes sur les questions de l’âge et du grand âge ». Le tarif réduit pour les personnes âgées en état d’invalidité n’est, à ses yeux, « pas très flatteur », il faut au contraire « valoriser » le grand âge. Compris, les grabataires ? Fini le temps où vous pouviez regarder France 3 tranquilles, la retraite ça n’est pas l’assistanat ! Pas de raison que vous puissiez vous soustraire au management de l’existence, à la lutte pour l’image et au benchmarking de soi-même ! D’ailleurs la carte senior, pour le coup, c’est sans doute de l’assistanat car « elle devrait être réservée au grand âge » : de 65 à 80 ans, on est encore assez jeune pour payer plein pot : c’est sûrement plus « flatteur » et « valorisant »…. Michèle Delaunay tente d’expliquer sa thèse en faisant de l’humour : « Alain Juppé m’avait envoyé une carte senior quand j’ai atteint 65 ans. Je pensais que c’était un hommage à mes fonctions de ministre, mais peut-être pas. » En l’absence de rires enregistrés « flatteurs » que l’ex-ministre de François Hollande aurait pu diffuser elle-même pour « valoriser » sa prestation, c’est un silence gêné qui accueille ce trait d’esprit. Les jeunes sauvageons comme Alain Anziani ou Vincent Feltesse sont décidément bien ingrats… « Je plaisante ! » (nouveau silence dans la salle).
C’est le PCF qui permet de revenir aux choses sérieuses, en notant que la contractualisation de l’augmentation dans la délégation de service public « lie les mains » à la Métropole. Et de proposer la tarification unique comme première étape vers gratuité tout en demandant une réflexion sur les réseaux circulaires.
Christophe Duprat saisit la perche pour estimer ce que la gratuité du réseau TBM coûterait à la Métropole : au-delà des 82 millions d’euros de manque à gagner (chiffre qu’il commente lui-même d’un « C’est rien, 82 millions ! » qui restera dans les annales), le principal problème pour lui est d’anticiper une hausse de 20 % de la fréquentation, ce qui représenterait une dépense supplémentaire de 300 M€ pour le matériel, le stockage et le personnel, ce à quoi on pourrait objecter que les bus supplémentaires ne s’achètent qu’une fois, et que le dépôt supplémentaire ne se construit qu’une fois, si bien que ce surcoût baissera au bout de quelques années. Qu’on se rassure : personne ne s’est permis de relever ce détail. D’après le vice-président, en tout cas, l’exemple de Libourne ne serait pas pertinent car les bus y étaient sous-utilisés (et même « vides », prétend-il) avant le passage à la gratuité.
Le PCF vote contre cette nouvelle tarification, quelques élus PS s’abstiennent, tandis que la droite et EELV votent pour la hausse des tarifs du bus et du tram.
Trop jeune pour la carte Senior!
Le point suivant concerne aussi les transports, avec la demande d’inclusion de la création d’un « transport en commun à haut niveau de services » (un bus en site propre) à Bègles, Talence et Gradignan dans le périmètre d’une concertation en cours, ainsi que l’extension du tram jusqu’à Saint-Médard en Jalles. François Jay laisse libre cours à ses fantasmes technophiles, autoritaires et ultra-libéraux de voitures sans chauffeurs, d’intelligence artificielle régissant les transports individuels et d’ubérisation du transport collectif, un avenir que Singapour et Shenzhen incarnent à ses yeux, pour vitupérer contre la « voie de garage » des trams et des bus. Mais la véritable contestation vient de Béatrice de François, maire PS de Parempuyre, excédée de voir Bègles et le Sud-Ouest de la Métropole obtenir un moyen de transport en communs non prévu initialement tandis que Parempuyre ne voit rien venir. Le tram à Parempuyre était pourtant « intégré au contrat de cogestion », s’exclame-t-elle ! Remercions-la au passage de rappeler judicieusement l’existence d’un tel contrat alors que la période pré-électorale commence. Le lecteur curieux trouvera ledit contrat ICI. Mais que valent les accords entre gens de bonne compagnie quand sonne le glas de la mandature ? Christophe Duprat, non sans un petit sourire narquois, signale que les investissements du RER métropolitain conduiront la prochaine mandature à des « choix difficiles ». Les étiquettes politiques ne pèseront pas grand-chose face aux intérêts communaux lors de la négociation, mais cela n’empêchera pas, bien sûr, le prochain président d’accueillir des délégations étrangères pour présenter à leurs yeux ébahis le « modèle de gouvernance de la Métropole ».
EELV, par la voix de Pierre Hurmic, pourfendeur d’un contrat de cogestion que son groupe a allègrement signé et qu’il a lui-même respecté jusqu’ici, annonce voter contre la desserte tramway de Saint Médard en Jalles, à la fois pour marquer son opposition au principe des liaisons en étoile et pour dire son agacement devant le cas particulier de cette extension au profit de « la commune à plus faible densité de la CUB » : « C’est une logique d’équipement municipal et pas de stratégie métropolitaine ». A l’heure où la remunicipalisation des infrastructures revient par la petite porte, on peut donc compter sur EELV pour défendre à tous crins l’idéologie métropolitaine. Agnès Versepuy, maire du Taillan, rappelle à l’impétrant Hurmic que la prolongation dessert aussi justement Le Taillan et a vocation à ouvrir une desserte tram dont tout le Médoc pourra profiter, au-delà de la Métropole. Christine Bost, maire PS d’Eysines, lui emboîte le pas en renvoyant EELV à l’« asphyxie du territoire métropolitain » et à l’aménagement du territoire avec « l’arrière-pays de la Métropole ».
Les élus du Nord et du Sud de la Métropole en plein exercice de co-construction agile de l’intérêt commun et du gagnant-gagnant.
Le front commun des communes d’outre-rocade au Nord de Bordeaux se poursuit avec Véronique Ferreira qui appuie à la fois l’extension du tram et la demande de Parempuyre. Dans un retour de flamme du socialisme municipal d’antan, elle critique frontalement Pierre Hurmic pour ses remarques sur la densité. D’après elles, ses considérations démographiques montreraient le peu de cas qu’il ferait de l’égalité des territoires et n’exprimeraient rien d’autre qu’ « une demande expresse de rentabilité » méconnaissant certains des « principes mêmes du service public ». L’union de la gauche est un combat… Et l’union des Verts aussi car Gérard Chausset, tout en votant avec son groupe contre l’extension vers Saint-Médard, se fend d’une intervention mi-chèvre mi-chou suggérant fortement qu’à titre personnel il est assez sensible aux arguments en provenance des Portes du Médoc.
Acte 3 : Indigestion
Les derniers dossiers sont l’occasion d’un festival d’extrême-droite où les provocations gratuites du représentant du RN, François Jay, en arrivent à couper l’appétit aux partis cogestionnaires, qui pourront tout de même en profiter pour se draper à bon compte dans la toge de l’antifascisme après avoir pourtant longtemps considéré l’agronome et bailleur bordelais comme un histrion faisant partie du décor, tant il est vrai que le RN n’est que l’épouvantail utile de l’oligarchie et du capital.
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La première salve est tirée à l’occasion de l’adoption d’une « charte de la bien-traitance animale » par l’abattoir de proximité du groupement des éleveurs girondins. C’est Clément Puech-Rossignol (EELV) qui suit le dossier, et qui l’introduit en soulignant bien l’importance qu’il lui accorde : « Bon, au vue de l’heure, midi vingt, on a tous envie d’aller manger ». Les choses iront donc vite. La viande, explique-t-il, représente 10 % de l’emprunte carbone des Français. Il faudrait donc consommer moins de viande de mauvaise qualité et promouvoir une viande de très bonne qualité, produite et distribuée en circuits courts, et abattue selon des techniques ne faisant pas souffrir les bêtes et en suivant des cadences faibles. C’est l’objet de cette charte, qui serait la première en France. Chacun voyant midi à sa porte, Alain Anziani, en tant que maire de Mérignac, demande s’il peut en déduire « qu’il vaut mieux prendre l’avion que de manger de la viande, et que le pire c’est de manger de la viande dans un avion. » La Cour rit. Mais la parole passe ensuite à François Jay, qui « se félicite des avancées décrites » pour mieux attaquer la charte sur le fait que les infrastructures permettront l’abattage rituel. S’il daigne relever que les responsables religieux musulmans ont accepté l’étourdissement préalable à l’égorgement, il insiste sur les risques sanitaires que représente la coupure de l’oesophage. Comme le relève le maire de Bègles, la position des animaux au moment de l’égorgement est elle aussi contractualisée, au profit d’une position dont les médecins considèrent qu’elle permet de limiter les risques sanitaires – un point qui figure expressément dans la charte, laquelle est finalement adoptée à l’unanimité. Après ce tour de chauffe suivi d’une diatribe anti-subventions à l’encontre du centre d’architecture Arc-en-Rêve, vient l’heure du logement social.
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Jean Touzeau a faim, il est 12h45, il s’agace et demande qu’un de ses dossiers, non-urgent, soit reporté au prochain conseil. Ne restent donc plus que deux dossiers, en commençant par la création d’une « mission squats ». Il y a 130 squats sur la Métropole, notamment à Bordeaux, Bègles, Mérignac et Eysines, pour un total de 2000 personnes, dont 900 Bulgares et Roumains. Il s’agit pour Jean Touzeau de mettre en place une politique de prévention « pour éviter les squats » ; un accompagnement des squats, « notamment vis-à-vis des riverains » ; et enfin de mieux gérer la remise en état après l’évacuation du squat. La première intervention, de Sylvie Cassou-Schotte (EELV Mérignac), regorge d’abord d’ « approches transversales » et autres « investissement de la Métropole comme coordinatrice technique, pilote et accompagnateur » avant de relever qu’il faudrait davantage de communes prêtes à accueillir des espaces temporaires d’insertion. Constatant que « le volontariat est inopérant », elle propose un « traitement pragmatique et humain », à savoir, comme toujours, un bonus-malus métropolitain. À nouveau, la critique justifiée de l’égoïsme localiste ne débouche que sur un appel à la rationalité comptable de l’homo oeconomicus et à la coercition métropolitaine, sans que jamais ne soit posée la question de savoir si le ver n’était pas dans le fruit de la décentralisation…
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Mais place à l’artiste pour son grand numéro : « Le mouvement des squats a débuté dans les années 70 à l’initiative de mouvements d’extrême-gauche maoïstes », débute François Jay. « Depuis cette époque, la pratique du squat comme arme politique, comme moyen de lutte contre le capitalisme ou la propriété privée, s’est développée, et particulièrement en Gironde. » Les anarchistes sont à nos portes ! « Le squat est une source de revenus pour des associations politiques qui sont parfois subventionnées. C’est un business pour certains, c’est aussi un mode de vie pour des militants qui trouvent un épanouissement à vivre en marge de la société, à lutter concrètement contre la propriété privée, à contribuer à trouver le chemin vers la chute finale du capitalisme. Pour autant la majorité des habitants des squats ne sont pas ces militants, qui ne sont que les organisateurs, la majorité ce sont des étrangers ». Les anarcho-trotsko-maoïstes pètent dans la soie, s’encanaillent ponctuellement dans des squats où ils fument sûrement des substances illicites tout en critiquant les honnêtes propriétaires immobiliers comme François Jay, tout en préparant le grand remplacement, qui est pour eux une source de revenus, car les subventions volées au contribuable pressurisé par le fisc-vampire, ni même l’argent des Illuminati, ne suffisent plus pour nourrir le train de vie dispendieux de l’ultra-gauche. « Les frontières ne sont plus contrôlées et le nombre d’ayants droit augmente plus vite que le nombre de logements », poursuit-il en sous-entendant, comme à l’accoutumée, que les crève-la-faim de « l’étranger » (dont pour l’occasion on feindra d’oublier qu’il s’agit de pays de l’UE) rêvent tous de venir s’installer dans un appartement au Grand Parc ou aux Aubiers, car c’est bien connu, c’est la vie de palais là-bas. « D’où le succès des promoteurs et organisateurs de squats. » D’où aussi celui des marchands de sommeil, mais visiblement celui-là empêche moins François Jay de dormir. Il faut donc agir, mais « sans dépense supplémentaire ». Conclusion : « Je voterai contre cette dépense. » Complot d’extrême-gauche, immigrés qui mettraient les bons Français à la rue en les privant de logements sociaux (logements contre lesquels le même François Jay vitupère à longueur de conseils), austérité budgétaire : François Jay réalise ici un grand chelem culinaire du lepénisme, une sorte de crêpe à la choucroute avec garniture pizza, qui semble d’ailleurs peser sur l’estomac d’une assistance uniformément grisâtre à la fin du laïus frontiste.
« Monsieur Brugère va nous apporter un peu d’humanisme…», tente Anziani, tandis que ledit Brugère se fait applaudir en rappelant qu’il y a des femmes et des enfants dans les squats où le RN ne voit que des avant-postes d’une extrême-gauche qui y est peu présente. Alain Touzeau refuse de répondre à la non-question du RN, et le texte passe à l’unanimité moins la voix du RN.
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Le dernier dossier est la signature d’un contrat d’accueil des réfugiés, prévoyant notamment un meilleur accompagnement linguistique et administratif. « Le dégroupement a été demandé par M. Jay pour des raisons que nous avons cru comprendre », grince Jean Touzeau. Ledit Jay, pas encore remis de son feu d’artifice, se contentera d’un pétard mouillé sur la « submersion » de demandeurs d’asiles et de « clandestins ».
Sur ces entrefaits, il est l’heure de déjeuner. Si vous n’avez pas déjà la nausée…