Acte 1: Agenouillements.
(Vote du compte administratif 2018 de la Métropole)
Jour historique pour l’intercommunalité: après deux mandatures juppéo-bobétistes, c’est un maire « de gauche », Alain Anziani, qui siège dans le fauteuil présidentiel et accueille une délégation mexicaine venue du Guanajato découvrir une méthode de gouvernance que le monde semble décidément nous envier. Mais c’est pour une mauvaise raison que le leader des « socialistes » métropolitains préside la séance, puisque Patrick Bobet est victime d’un deuil.
Exceptionnelle, la séance l’est aussi par son ordre du jour, qui inclut la validation du compte administratif 2018. Le vote du budget 2020 et du compte administratif 2019 étant prévus après les élections municipales, il s’agit donc du tout dernier vote permettant de délimiter les contours de la majorité métropolitaine. Sur la base du vote du budget 2019 le février dernier, il s’agissait d’une majorité Droite (LR, Modem, LaReM, divers) + PS + EELV. Le PCF, tout en restant membre de l’exécutif métropolitain, s’était abstenu. L’unique élu RN était absent ce jour-là. Mais la séance recèle également d’autres points croustillants à l’ordre du jour, comme la hausse des tarifs de transports en commun. Place donc à une tragi-comédie en trois actes.
Tout est en place pour le débat contradictoire
Acte I : Agenouillements
Scène 1
Par une exceptionnelle réminiscence des usages les plus élémentaires de la séparation des pouvoirs, qui d’ordinaire sont foulés au pied dans la législation française sur les collectivités locales, le vote du compte administratif ne peut pas être présidé par un membre de l’exécutif métropolitain. C’est donc le doyen d’âge de l’Assemblée, Jean-Pierre Turon, maire PS de Bassens, qui préside la séance « pour la dernière fois sans doute ».
Emmanuel Sallaberry, maire de Talence et vice-président aux finances, présente son rapport. La Métropole a engrangé en 2018 1,7 Mrds € de recettes et dépensé 1,5 Mrds€. Elle a respecté le plafond contractuel de dépenses de fonctionnement négocié avec l’État dans le cadre du protocole signé en 2018 pour garantir les ressources de la Métropole moyennant la soumission à des impératifs budgétaires fixés par le gouvernement. Rien ne résume mieux le caractère inique de ce protocole signé par Alain Juppé que le fait, reconnu par Emmanuel Sallaberry, que les 18M€ de marge dégagés par la Métropole sont purement et simplement perdus et ne pourront donc pas servir à assouplir le carcan pour l’an prochain ! Ce protocole léonin n’a d’ailleurs pas empêché une baisse de 3 % des dotations de l’État… A l’échelle de la mandature, le manque à gagner est tout de même de 215 M€. Au début de la mandature, la dotation versée par l’État pour que la Métropole assure les compétences qui lui sont dévolues représentait 51 % des recettes de celles-ci, une proportion tombée à 44 %. Mais il faut dire que la Métropole engrange de nouvelles recettes via le système des mutualisations, par lequel 19 communes sur 28 ont transféré une partie de leurs services municipaux à la Métropole moyennant le versement à celle-ci d’une « attribution de compensation » pour les dépenses supplémentaires occasionnées. Ces nouvelles recettes sont donc symétriques de nouvelles dépenses dans le cadre d’une course aux transferts de compétences du cadre communal vers le cadre métropolitain. Autant dire qu’il s’agit pour les conseils municipaux de se délester du sale travail à prix d’or, quitte à éloigner de plus en plus les lieux de décision du regard des citoyens, à qui on n’a généralement pas demandé leur avis sur le sujet.
Au final, l’épargne nette de la Métropole (243 M€) est supérieur aux dettes contractées en 2018 (130 M€). Ces emprunts marquent l’entrée dans un cycle de plusieurs années où la Métropole creusera sa dette pour faire face à une hausse des investissements, notamment dans le domaine des transports. De l’avis général, la situation financière de la Métropole est plutôt saine, les caisses sont loin d’être vides, et l’intercommunalité fait partie des moins endettées de France (avec un en-cours de dette par habitant de 864€, contre 1500 € pour la moyenne des grandes intercommunalités selon Emmanuel Sallaberry). De quoi relativiser à l’avance les cris d’orfraie des mêmes responsables politiques austéritaires quand ils hurleront que la Métropole n’a pas les moyens de tel ou tel programme social ou foncier…
Les dépenses d’investissement pour 2018 se montent à 558 M€, dont 153M€ uniquement pour les travaux du tram.
Deux indicateurs pour finir : D’abord, le taux de réalisation (c’est-à-dire le pourcentage d’engagements du budget 2018 effectivement réalisés à la fin de l’exercice) est d’un peu moins de 77 % contre 60 à 62 % il y a quelques années. Enfin, les cotisations financières des entreprises sont aujourd’hui le plus gros contributeur du budget en recettes, ce qui justifie aux yeux du vice-président aux finances de maintenir une taxation basse sur les entreprises afin d’éviter à la métropole de voir les entreprises partir vers « des territoires extérieurs moins fiscalisés ». On ne saurait être plus clair sur la logique de dumping inhérente à la métropolisation : chaque intercommunalité joue sur une imposition la plus basse possible tout en espérant profiter des investissements d’infrastructure du voisin…
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Scène 2
Léna Beaulieu, pour le PCF, se félicite du taux de réalisation et du sérieux du travail des services. Elle s’inquiète toutefois d’un taux d’endettement qu’elle juge trop faible et qui fait financer l’investissement par l’impôt au lieu d’utiliser la capacité d’étalement des dépenses dans le temps que fournit la dette. C’est surtout l’occasion de porter des mots d’ordre nationaux du PCF en diagnostiquant l’incapacité des banques à assurer leur rôle de garantes de l’investissement, et en demandant la création d’un pôle public bancaire et d’une banque publique des collectivités. Pour elle, le mélange de baisse des dotations, de hausse des impôts et de face-à-face avec les banques est une « parfaite illustration de l’étau dans lequel nous enferment les logiques néolibérales ». Mais étrangement, là où le PCF avait fort logiquement refusé de voter le budget 2019, il votera finalement pour le compte administratif 2018…
La parole passe à Pierre Hurmic (EELV), l’illustrissime héraut de la lutte contre la cogestion, du moins dans les médias. Ce sera l’occasion de voir ce qu’il en est dans l’enceinte de la Métropole (pour mémoire, il avait voté le budget 2019 avec tout son groupe en février). Le discours du Vert commence par un satisfecit comptable qu’un austéritaire n’aurait pas renié : maîtrise de la dette, dynamique des recettes, taux de réalisation en hausse. Mais voilà, tout cela n’est « pas assez politique ». Un bon point pour Hurmic ? Tendons l’oreille : «Au-delà des performances financières et comptables nous restons sur notre faim concernant une analyse de résultats ». Il faudrait une présentation « tronçonnée par objectifs », car « les objectifs, c’est cela qui nous unit ». Autant dire que pour l’opposition à la cogestion, on repassera. Il faudrait, ajoute le leader des Verts, des « indicateurs permettant de quantifier les résultats atteints » avec un « rapport annuel de performance ». Bref, la seule chose à reprocher à ce compte administratif, c’est qu’il est construit comme sous grand-papa, et pas assez en phase avec l’esprit du Nouveau Management Public. Émancipation, j’écris ton nom… Mais ce n’est pas tant une critique qu’un programme en cas de victoire des Verts aux élections : Ce passage à une logique de « bilan annuel de performance », dit-il dans un sourire gourmand, « concernera la majorité qui s’installera dans cette salle à l’issue des prochaines élections ». Je me voyais déjà en haut de l’affiche…
La critique de la cogestion quand on y participe impose parfois d’avoir l’échine souple.
Place au suivant dans le bestiaire politique local : François Jay (RN). Conformément à la ligne libérale-austéritaire dont sa famille politique, quoi qu’elle en dise, ne se départira jamais, il se félicite des baisses de taux de prélèvements : « La population souffre des taxes et des impôts, la France est recordman mondial dans ce domaine, avec les connaissances que vous connaissez : pauvreté, croissance anémique, désindustrialisation, crise de l’agriculture. Les impôts qui sont votés ici contribuent à ce déclin de la France. » Ciel ! Heureusement que Macron a supprimé l’ISF, il aurait plu des grenouilles… Avant de se prévaloir simultanément de Virginie Calmels et des pratiques municipales de l’extrême-droite, le Poujade bordelais se lance dans une diatribe mêlant climatoscepticisme et démagogie fiscale : « Je vous invite à réfléchir à cette incroyable contradiction qu’il y a à prétendre que notre action peut agir sur le climat de la terre, comme si nous étions brusquement investis d’un pouvoir surnaturel, et en même temps prétendre, comme le faisait Alain Juppé, que nous ne pouvons pas baisser les dépenses, des affirmations à la fois ridicules et impudentes. » Une fois passé le numéro de bateleur du plan B de l’oligarchie, la parole passe à Véronique Ferreira (maire de Blanquefort) pour le PS. Ici aussi, comme dans la bouche de Pierre Hurmic, c’est un satisfecit : « il n’y aura pas de mais, il y aura plutôt un Et demain ? ». Car le PS s’inquiète de la baisse des dotations de l’État, à laquelle il a pourtant bien contribué durant ses cinq ans au pouvoir. Son prédécesseur à Blanquefort, Vincent Feltesse (DVG), parti à Bordeaux puis temporairement à l’Elysée au cabinet de François Hollande, juge lui aussi ce compte administratif « très bon ». Mais lui n’a pas oublié que la baisse des dotations était le credo du PS quand il était au pouvoir, et le voilà qui défend son ancien patron : « je pense que nous avons un peu trop tendance à crier au loup sur le désengagement de l’État, ce n’est pas du tout la banqueroute qui avait été annoncée. […] Les collectivités locales ont du mal à sortir de l’adolescence.» Cela n’empêche pas l’ex-futur tombeur d’Alain Juppé de relever que la ligne budgétaire « qualité de vie », qui est « traditionnellement en hausse à l’approche des élections », ne l’est pas cette année, ce qu’il juge préoccupant et l’amène à s’inquiéter des effets de la mutualisation sur la réalisation des travaux de proximité. Ouvrant la boîte de Pandore, il en appelle à une « nouvelle déconcentration » et à un « vrai bilan de la mutualisation ». Alain Turby (LaReM, Carbon-Blanc) lui emboîte aussitôt le pas, ainsi que l’ex-maire LR de Talence, Alain Cazabonne (« je bois du petit-lait »). Diable ! Voilà donc qu’à l’approche des élections, les critiques portées par les esprits chagrins restés fidèles au communalisme sont soudain validées par les chefs à plumes de l’intercommunalité. Il est vrai que la Métropole, c’est très pratique pour se débarrasser des compétences fastidieuses transférées par l’État au fil d’une décentralisation inconsidérée, et tant qu’à faire aussi pour conclure des petits arrangements entre maires loin des électeurs, mais les compétences municipales, en période de campagne, ça a aussi du bon pour s’assurer que telle rue sera refaite à temps, que telle école sera ravalée à un mois du vote, et pourquoi pas aussi pour garder l’oeil sur le personnel municipal même s’il coûte cher. Mais ne boudons pas notre plaisir, et notons plutôt ce retour de flamme municipaliste dont il faudra se souvenir en temps et en heure…
La remarque de Vincent Feltesse sur les collectivités locales adolescentes suscite l’ire de plusieurs élus, notamment Claude Mellier pour le PCF. L’ancien conseiller à la présidence de la République se défend tandis que le président s’inquiète ostensiblement de l’heure qui tourne : « Les Françaises et les Français, ils voient c’est quoi la situation quand ils vont aux urgences, ils voient c’est quoi la situation quand ils vont dans les EHPAD ; ils voient c’est quoi la situation quand ils vont dans un établissement pour enfants ou pour adultes handicapés ; ils voient aussi c’est quoi la situation quand ils vont à la Métropole, à la Région, au Département, dans les grandes collectivités ; y a des endroits où y a un vrai problème d’urgence ou de dégradation même presque de maltraitance institutionnelle et y a d’autres endroits où y a plus de marges et je pense qu’on doit être exemplaires à tous points de vue ». Le hollandisme rhétorique, fondé sur l’anaphore (« moi président »…), n’est donc pas mort. Hélas ?
L’échange n’en est pas moins entrecoupé par une intervention de Gérard Chausset (EELV Mérignac) qui énumère les domaines où un travail sera nécessaire à l’avenir. Très vite, il cible la question des relations avec les intercommunalités voisines, notamment Jalle Eau Bourde (petite intercommunalité sous la houlette du maire PS de Cestas) : « il y a des communautés parasites qui ne font pas leur boulot ». Cestas perd des habitants en ne construisant pas de logements et en ne faisant pas d’investissements d’infrastructures « tout en se gavant d’emplois autour ». Il faudrait donc « se poser la question du périmètre de la Métropole » : on n’en saura pas plus, mais la suite logique de cette déclaration serait de dire que Cestas, qui profiterait économiquement du travail de la Métropole sans y prendre sa part, soit annexée. À moins bien sûr qu’il ne s’agisse de reconnaître qu’une fois de plus, la logique de métropolisation ne nourrit que le dumping, la concurrence des territoires et un aménagement du territoire anarchique, et qu’un pilotage à un niveau supérieur et authentiquement démocratique serait largement préalable… C’est sur ce non-dit, et sur les fulgurances oratoires de Vincent Feltesse, que s’achève l’acte I : place au vote !
Seul le Rassemblement national s’abstient, le compte administratif est adopté à l’unanimité des suffrages exprimés.
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Scène finale
Alain Anziani peut reprendre la parole, remercier Jean-Pierre Turon pour cette présidence et « pour l’ensemble de son oeuvre » ainsi bien sûr qu’Alain Juppé (il faut toujours remercier Alain Juppé) et Patrick Bobet. Et bien sûr il félicite Emmanuel Sallaberry pour cette« première manifestation, mais manifestation de maître ». L’ensemble du débat, explique-t-il sans jamais nommer Vincent Feltesse, donnerait tort à ceux qui nient la maturité des intercommunalités. Toutefois, qu’il nous soit permis ici de suggérer que certains échanges de bac à sable au cours de la séance ne vous pas tout à fait dans son sens. A bien des égards, l’intercommunalité n’est adulte que pour s’arranger entre amis au mépris des choix politiques des électeurs, qui sont finalement les plus infantilisés dans toute l’affaire. Toujours est-il que pour Alain Anziani, cette « maturité » appellerait « un nouvel acte de décentralisation » : « Ce qui nous infantilise, c’est le système des dotations […] Il faut que nous puissions avoir notre responsabilité fiscale, je crois que ce sera ça l’acte majeur de la décentralisation à laquelle nous aspirons ». Voilà qui promet.