« À un moment, il y a toujours un trou dans la raquette. »
(Nicolas « Mahut » Florian, 3 juin 2019, Conseil Municipal de Bordeaux)
Qu’on se le dise, Nicolas Florian est « volontariste ». Il répète à qui veut l’entendre qu’il n’aime pas les dogmes « fléchés » (sic) tombés tout droit du ciel et leur préfère les actions concrètes de terrain. À Monsieur Hurmic qui dénonce l’incompatibilité entre ses grandes déclarations de principe sur l’écologie et le retour de vieux projets comme le Grand Contournement autoroutier au sein des débats du conseil municipal (l’accord de coopération avec les villes de Limoges et Mont-de-Marsan, débattu en conseil municipal et également au conseil de Bordeaux Métropole, prévoit un volet autoroutier), il répond que le défi climatique et l’enjeu environnemental sont au cœur du projet de la majorité, et va même plus loin : «contrairement parfois à des débats peut-être un peu plus lointains ou un peu hors-sol, nous on place notre action dans – je vais employer un néologisme qui ferait plaisir sûrement à Madame Royal – dans la concrétude ou concrétitude. ». Nicolas Florian est tellement ancré très concrètement dans le réel vrai, qu’il ne sait plus au juste où il habite et se radicalise furieusement d’un conseil municipal à l’autre. Alors que Delphine Jamet d’EELV propose de faire adopter un vœu émettant le souhait d’une réglementation nationale sur la présence des animaux dans les cirques et les spectacles, et que Fabien Robert tente de justifier tant bien que mal le refus de la majorité en établissant une distinction entre animaux sauvages et domestiques, et puis de clore le débat, l’édile aux rouges lunettes en remet une couche à la fin de l’intervention de son adjoint en indiquant, l’air de ne pas y toucher, que si l’on veut être cohérent intellectuellement, il faut aller au bout de la démarche, et qu’on devra se poser un jour la question des zoos. Plus tard, au moment du vote du compte administratif de l’année 2018, alors que François Jay (RN) préconise une baisse drastique des dépenses, l’héritier d’Alain Juppé s’emporte dans une envolée lyrique anti-austéritaire que ne renieraient pas des socialistes sincères (qui ne se contenteraient pas du titre d’« opposants de gauche ») : « Baisser les dépenses, est-ce que c’est d’ailleurs un objectif en soi de baisser les dépenses ? Que l’on contienne nos dépenses, qu’on soit dans la sobriété financière pour que l’argent public soit bien utilisé, oui, mais ériger en dogme de baisser la dépense publique dans une ville qui est en croissance démographique, où on accueille de plus en plus de nouveaux arrivants… ». Aidons le maire à finir sa phrase : « non !». Plus rien n’arrête le premier édile, qui s’attaque désormais sauvagement à la propriété privée immobilière. À l’occasion de la délibération sur la vente de logements sociaux par Domo France, le débat se porte rapidement sur la question plus générale du logement à Bordeaux et notamment les fameux AirBnB, dont le vice-président dit socialiste du département, et heureux hasard, également conseiller municipal de Bordeaux, est un spécialiste. Ce dernier souligne que le non-dépassement des 120 nuitées par an a déjà été voté, ce à quoi Florian rétorque que lui peut être « encore plus offensif » : il veut gonfler les effectifs de contrôle et dit attendre avec impatience les premières condamnations de contrevenants, dont il s’empressera de « faire la pub » (certainement en placardant leurs noms et photographies dans toute la ville, comme il le fit récemment avec son propre portrait). Et puisqu’on en parle, d’ailleurs, il trouve que 120 nuitées, c’est déjà trop. Car après tout, à quoi ça rime de louer son logement principal quatre mois dans l’année ? Et voilà notre vice-président de département à sa grande surprise dépassé sur sa gauche. Dans une sorte d’apothéose, l’enragé aux pourpres binocles profite d’une délibération à propos des taxes sur les sociétés de free floating pour asséner qu’à partir du moment où une entreprise privée utilise l’espace public dans une logique mercantile, il n’est pas « illogique » qu’elle participe à l’effort collectif. Et d’ajouter, virulent : « Ça n’aurait tenu qu’à moi, je les aurais montées plus haut, les taxes ! ».
La concrétitude s’arrête cependant aux cordons de la bourse. Delphine Jamet lui reproche de ne pas avoir su exploiter comme il se doit les données numériques à sa disposition pour améliorer la gestion de la ville ? Nicolas Florian lui fait la leçon sur la nécessité de veiller à ce que le numérique ne remplace pas le contact humain dans les services publics. Mais reconnaît toutefois que si la majorité n’a pas pu mener à bien l’ensemble des projets annoncés en 2014, c’est que les fonctionnaires de la mairie ne sont sans doute pas assez nombreux, faute de pouvoir en embaucher assez. Nicolas Florian explique pourtant dans le même temps que si à l’époque, il a pu s’inquiéter des baisses de dotation de l’État décidées par François Hollande et Manuel Valls, il constate que Bordeaux a su s’en sortir malgré tout, preuve qu’il y avait donc bien une marge de manoeuvre budgétaire. Michèle Delaunay, présidente du groupe dit socialiste, salue alors la « conversion hollandaise » du maire, et d’ajouter, hilare, sous les applaudissement de la foule en délire : « Au Parti Socialiste, c’est comme aux Galeries Lafayette, il se passe toujours quelque chose et je vous en remercie !». Pour ce qui est des baisses de dotation publique en tout cas, on ne peut que lui donner raison. L’examen du compte administratif 2018 est d’ailleurs l’occasion pour la prétendue gauche (PS et EELV de concert) de dénoncer à juste titre le manque d’investissement de la municipalité, notamment dans le logement social, la petite enfance et la culture, mais aussi, fait plus troublant, de fustiger la fiscalité, largement plus forte que dans les autres grandes villes de France. Si la situation financière de Bordeaux est plutôt bonne, aux dires du maire, c’est qu’on presse les habitants comme des citrons, et c’est scandaleux. On ignorait que des élus « de gauche » puissent faire leur les combats de la droite et s’opposer à l’impôt. Mais ce que l’on ignorait encore plus sans doute, c’est leur capacité à s’engager courageusement derrière les travailleurs. Michèle Delaunay s’empresse en effet de prendre la parole suite à l’exposé du compte administratif pour interpeller la majorité sur la durée de travail des fonctionnaires municipaux bordelais, très inférieure à la moyenne nationale, et sur leur taux d’absentéisme, ce qu’elle avait déjà fait l’année précédente, précise-t-elle, sûrement éblouie par son propre courage, alors qu’ « objectivement, c’était l’intervention la plus désagréable qui soit possible pour un élu socialiste ». Ou plus exactement : pour un élu véritablement socialiste. Pour les autres, il semblerait que ce soit là matière à s’enorgueillir sur les réseaux sociaux.
On a les koulaks que l’on peut: pour Michèle Delaunay, seraient-ce les fonctionnaires municipaux?
Michèle Delaunay pense servir l’intérêt général, parce qu’elle respecte les préconisations du rapport de la Cour des Comptes, qu’elle citera à plusieurs reprises comme référence. Il est étonnant de constater que les prétendus socialistes cherchent à tout prix à se parer des atours de l’expert, forcément crédible car de droite, pour légitimer leur discours. Le vice-président du département spécialiste d’AirBnB a ainsi cette phrase étrange lors du débat sur la vente de logements sociaux par Domo France lorsqu’il essaie de convaincre Nicolas Florian du bien-fondé des arguments de l’ « opposition » : « Entendez les arguments qui sont mis sur la table et qui sont partagés […] par certains de vos collègues de la même sensibilité politique, donc là encore, ce ne sont pas des arguments incongrus. ». Des arguments portés par la droite et « donc » pas incongrus ? Légitimer ses propositions en présentant le discours de son propre adversaire politique une référence impartiale et pertinente, il fallait y penser. Effectivement, « au Parti Socialiste, c’est comme aux Galeries Lafayette, il se passe toujours quelque chose »…
S’il n’existe pas forcément de convergence entre la droite et la gauche sur un plan proprement idéologique , contrairement à ce que fantasme l’extrême-droite avec son fameux « UMPS », en revanche l’homogénéité sociologique de l’assistance explique sûrement qu’une grande partie d’entre elle partage des intérêts de classe identiques, quel que soit le nom du mouchoir qu’elle met ensuite dessus. Nicolas Florian semble d’ailleurs en prendre conscience, amusé, lors de la délibération sur l’adhésion de la ville à la Charte des Villes et Territoires sans perturbateurs endocriniens. L’évocation de l’interdiction du Bisphénol-A (loi dont Michèle Delaunay était rapporteur), donne lieu à un véritable combat d’experts au sein du conseil municipal, où pas moins de quatre conseillers sont médecins – quand ce n’est pas à des révélations cartoonesques (Michèle Delaunay reconnaît avoir mené l’enquête sur le Bisphénol-A à Bordeaux en se faisant passer auprès des services de la petite enfance pour une jeune mère de famille cherchant à inscrire sa petite Lucille à la crèche !). Sans doute peu formé à la pensée marxiste, l’édile y voit le signe de la surreprésentation du secteur de la santé : (il y aussi un pharmacien et deux infirmières), ce à quoi il ajoute triomphalement : « il nous manque un rebouteux pour les petits bobos » (sic). Pour sa consommation de tabac, il est déjà suivi de près par « Monsieur Brugère » qui l’engueule à chaque fois qu’il le croise, parce qu’il fume trop. Il y a d’ailleurs peut-être quelqu’un qui a tenté d’allumer sa cigarette dans l’enceinte de la mairie, car soudainement, à une heure vingt de la fin du conseil, l’alarme incendie se met à retentir. L’assistance quitte la salle, et on voit même Vincent Feltesse, qui fait décidément en toute chose cavalier seul, revenir sur ses pas déposer placidement un dossier sur un bureau, au mépris du danger – voilà le vrai courage socialiste ! Il semblerait qu’il ne s’agisse que d’un exercice, et tout le monde (ou presque) revient rapidement dans la salle, ce qui énerve passablement le premier édile, qui a oublié que son micro était toujours ouvert, et les images, toujours retransmises en direct sur Internet (même si elles seront malheureusement coupées au montage) : « ils se bougent le cul, oui ? » maugrée-t-il a plusieurs reprises. Comme il le dit lui-même à propos des travaux de canalisation qui interviennent souvent à la suite de réfections, gâchant ainsi plusieurs milliers d’euros de travaux : « à un moment, il y a toujours un trou dans la raquette ». Puis de s’enquérir du quorum nécessaire pour rouvrir la séance, en attendant que les bavards qui sont restés dans le couloir regagnent leurs places. On peut comprendre son empressement : les séances du conseil durent des heures, les derniers sujets abordés (qui comptent souvent parmi les plus sensibles), et les débats qu’ils occasionnent, sont souvent escamotés, surtout quand, après vingt heures, la presse et la plupart des spectateurs sont partis. Promis, la prochaine fois on organisera un temps plus long sur le logement, à condition que l’ensemble des groupes se montre raisonnable sur le nombre et la durée de ses interventions à propos de sujets moins cruciaux.
La séance culmine véritablement lors de la délibération sur les noms de rue, qui occupe décidément beaucoup les débats du conseil. Michèle Delaunay, dans une intervention majeure, attire l’attention du conseil sur la faute faite à « Clemenceau » (qui consiste à mettre un accent sur le « e », qui pourtant n’en comporte pas). Et de préciser : « il avait horreur de ça ». Goguenard, l’édile lui lance : « Vous ne l’avez pas connu quand même Michèle. Ou alors vous faites plus jeune que votre âge ! ». C’est l’occasion pour le Rassemblement National de briller une dernière fois. Car un peu plus tôt en effet, Catherine Bouilhet avait déjà réussi l’exploit de caser une litanie de cinq minutes sur le résultat de son parti aux élections européennes à l’occasion de la délibération sur les tarifs du conservatoire (elle feignait de voir dans cette soit disant reprise d’une proposition du RN une relation de cause à effet). Pour satisfaire à l’image populaire que veut se donner le RN, elle réitère le vœu déjà formulé en mars de voir Georgette Plana, chanteuse locale, avoir une rue à son nom, et ajoute cette fois à la liste des demandes, mieux qu’un député girondin de la Convention (cf. le conseil municipal d’avril), :le nom d’Hélie Denoix de Saint Marc, officier de l’armée française ayant participé au putsch des généraux en 1961. Plus vite, plus haut, plus fort.
Match retour le 8 juillet. Entrée gratuite. Venez nombreux.