Têtes d’affiches et fichage de tête
(Avril 2019)
Les municipales, c’est l’élection qui rend les gens fous. Les César de village, les Napoléon de préfecture, les Jupiter de chefs-lieux de cantons se sentent pousser des ailes. On le sait : n’importe quel politicien parisien hors-sol se voit un destin national en se rasant et/ou en se maquillant le matin. Bizarrement on n’entend pas parler de ce genre de bouffées mégalomaniaques le soir, au moment d’ôter le costume, d’enlever le fard, de déchausser ses lunettes ou de mettre les lentilles et/ou le dentier dans leur solution aqueuse respective. Comme quoi ces ambitieux sont d’abord des gens qui s’éprennent de leur image frelatée. Mais c’est la même chose dans nos villes, où des cohortes de seconds couteaux n’ont plus qu’une idée en tête : Je veux voir ma bobine partout sur les affiches ! En attendant de l’étaler à longueur de pages dans le bulletin municipal pendant six ans… Quitte à finir en page 2 du Canard Enchaîné, où sont périodiquement recensés les hobereaux locaux qui arrivent à placer plus de 5 fois leur binette dans un même numéro du bulletin municipal. Les impétrants présidents se trouvent beaux dans le miroir une fois rasés et maquillés, et nos apprentis maires bandent de se voir sur des panneaux d’affichages. Et le peuple, qui n’a rien demandé, doit se farcir les émois adolescents de tous ces gens. Que fait la brigade mondaine ?
Sans doute le jeune et beau nouveau maire de Bordeaux était-il mû par une volonté esthétique lorsqu’il a décidé de « se faire connaître » en couvrant la ville d’affiches permettant à tout un chacun (et toute une chacune) d’admirer son brushing vaporeux, son œil aguicheur et son sourire… carnassier. Pour l’occasion, il a renoncé aux lunettes écarlates du meilleur effet qu’il mâchouille en Conseil Municipal. Une touche de rouge n’aurait pourtant pas nui sur l’affiche ! Il faut décidément tout leur apprendre. Comme on n’en fait jamais trop, certains panneaux restants ont accueilli une campagne de promotion pour… Bordeaux Magazine, illustrée par la couverture du dernier numéro. A votre avis, qui faisait la couverture ?
Certains ont pris ombrage de l’opération en y voyant une dépense de campagne, de nature à peser sur le vote. Dire cela, c’est prendre les électeurs pour des imbéciles qu’il ne sont pas. C’est également prêter au nouveau maire un machiavélisme qui va sans doute au-delà de ses intentions. Mais c’est aussi avouer leur incapacité à comprendre une fois de plus où est le vrai problème du point de vue du pouvoir citoyen. Enfin quoi ? Est-ce qu’ils pensent sérieusement que l’opération « ma bobine partout » serait moins dérangeante hors période électorale ? Qu’est-ce que ça veut dire ? Qu’ils auraient voulu faire pareil à sa place mais qu’un reste de fausse pudeur les aurait peut-être arrêtés si près de l’échéance électorale ? On rêve…
« On avait dit: pas dans les douze mois avant le scrutin! »
Le problème n’est pas de savoir s’il faut mettre un masque de fer aux députés, aux sénateurs, à tous les généraux de l’armée mexicaine du Conseil Départemental, du Conseil Régional et de la Métropole dans les 12 mois qui précèdent une élection locale, même si effectivement ça nous ferait quelques vacances. Peut-être même pourrait-on envisager que ces très chers élus travaillent les dossiers et siègent en séance pendant cette période. Non, malgré tout, le vrai problème, c’est la personnalisation générale du pouvoir local, le culte permanent des maires et des présidents, derrière lesquels prolifère une armée de chargés de mission et d’adjoints falots, méconnus mais omnipotents aussi longtemps qu’ils ont la faveur du prince. Le résultat ? La courtisanerie en fractale et le pouvoir citoyen en charpie. Un chef sur les affiches, sa plèbe qui passe devant, et dans l’ombre du panneau publicitaire, loin des yeux, cinquante nuances de gris où se niche tout ce qu’il faudrait montrer en matière de pouvoir… et qu’on ne montrera pas.
Non, non, non ! La Cinquième République, ça suffit, à Paris comme à la mairie ! Ha, ça ira, les aristocrates de Conseil Municipal, on les aura ! Les ambitieux « y pensent » en se rasant ? Alors qu’ils n’oublient pas ceci : le peuple a heureusement renoncé au Rasoir National, mais le Rasoir Electoral coupe parfois tout aussi bien les têtes… d’affiche. À bas les barons, les marquis, les ducs et les dauphins, et vive la République !
Le Père Gueulard.