« On ne lutte pas contre le débordement, on l’accompagne. » (Nicolao-Tseu, 25 mars 2019, Conseil Municipal de Bordeaux)
Les aléas du calendrier auront offert aux spectateurs du dernier conseil municipal de Bordeaux une joute sans précédent entre experts patentés des finances publiques. Retard de décision du néo-maire oblige, les délibérations sur la révision du taux de la taxe d’habitation n’auront pas lieu en commission des finances, mais en séance plénière, permettant à chacun d’étaler dans les grandes largeurs (et en direct sur le site Internet de la mairie) les compétences techniques dont il ne manque pas de se gargariser en période électorale. Un élu du Parti Socialiste, grand avocat du renouvellement du personnel politique à Bordeaux et particulièrement bien placé pour en parler puisqu’il est lui-même vice-président du Conseil départemental, a coiffé sa casquette de révolutionnaire spécialiste de l’AirBnBisation de la cité, et a fourbi ses armes: après un long, très long exposé , il lance l’ultime attaque, sûr d’avoir découvert dans la proposition du néo-édile une faille digne du Grand Canyon. C’est que le maire annonce fièrement une baisse de 1% du taux de la taxe d’habitation. Faux, triomphe l’ élu « d’ opposition »: il s’agit en réalité d’un point, et par conséquent d’un pourcentage de seulement 0,3. Nul n’est à l’abri d’un oubli arithmétique, même s’il y a de quoi rester rêveur quand cette confusion émane de quelqu’un qui tire sa légitimité d’opposant de sa capacité à disserter sur les évolutions statistiques du marché de l’immobilier. Mais il est vrai qu’on fait avec ce qu’on a, or comme on le verra, ce n’est certainement pas par ses votes que le PS gagnera ses galons de premier opposant à la droite bordelaise. Toujours est-il que face à ce numéro d’équilibriste arithmétique, le jeune maire reste ébahi quelques secondes, puis est gagné par la gêne. Doit-il reprendre l’impétrant au risque de dévoiler les ficelles du spectacle ? Les magiciens ne livrent jamais leurs trucs, mais chaussant bravement ses lunettes rouges, le premier édile commet une entorse à la règle. Du haut de sa tribune, il explique patiemment la différence entre taux et pourcentage. Passer d’un taux de 29,51 à un taux de 29,21 correspond bien à une baisse de 1%. Une baisse d’un point l’aurait avantageusement fait passer à 28,51. A son pupitre, l’élu d’opposition bredouille. Il s’est éloigné des fiches rédigées par une main patiente et attentionnée. Il n’aurait pas dû. La récitation s’est soldée par un coup d’épée dans l’eau, mais n’empêche pas l’opposition « de gauche » de se replonger dans ses fiches bristol avec une ardeur redoublée. Avec ardeur, oui : car à quoi attribuer sinon sa rougeur et ses bafouillements ? Les élus d’ « opposition » ont bien pris soin à chaque fois de clore leurs interventions par quelques propositions socialisantes, mais surpris par leur propre fougue, ils s’abstiennent courageusement lors du vote final. Car à gauche, comprenez-vous, on ne peut quand même pas être contre une baisse d’impôt.
Flairant le probable scandale, l’élu « d’opposition » « socialiste » repart gaillardement à l’assaut de la délibération suivante. La municipalité n’a pas prévu l’habituelle et modique subvention à l’IDDAC (Institut Départemental Développement Culturel) dans le nouveau budget municipal. C’est le moment de protester énergiquement. Le résultat ne se fait pas attendre : dans sa loge, le néo-maire soupire d’ennui. Il balaie les reproches d’un revers de manche: il s’agit sans doute d’une erreur, la subvention a dû passer par « les trous de raquette« , « Fabien » va rectifier ça.
Éconduite, mais pas désespérée, l’ « opposition » « de gauche », comprendre les « socialistes » et « écologistes », comme souvent confondus, prépare son chant d’amour du troisième acte, où il sera question de l’enquête publique sur le projet urbain Bordeaux Brazza et ses zones humides en bord de Garonne. Beaucoup d’arbres sont en jeu. On va voir ce qu’on va voir, surtout que l’élu socialiste spécialiste d’AirBnB est aussi, de son propre aveu, un expert des batraciens. Hélas, il n’a pas prévu de fiches sur l’évolution des pourcentages de grenouilles dans la zone concernée. Sur ce dossier, on sent le néo-maire moins sûr de lui : oui, il y aura bien quelques arbres supprimés sur les zones prochainement bétonnées, mais ce sont des feuillus de seulement 20 ans, ou quelques années, on ne sait plus très bien, en tout cas des arbres sûrement pas très importants. Et puis quand on regarde les plans, on voit plus de vert que de gris, alors, hein. D’ailleurs, pour trancher le débat, la prochaine fois on s’exportera sur le terrain pour constater de nous-mêmes, et puis on redemandera une présentation sur écran comme la dernière fois, là, c’était très bien, pour que tout le monde comprenne. Non, le million d’habitants n’a jamais été une volonté politique exprimée, on ne sera pas capable de retrouver un quelconque texte en ce sens. Et puis dans ce projet de drainage des zones humides, « on ne lutte pas contre le débordement, on l’accompagne. Et on l’accueille par un dispositif qui ne transfère pas le risque en amont ou en aval.« . Sage conseil. L’opposition « de gauche » a d’ailleurs gardé un prudent silence lors d’une précédente délibération quand le tout nouvel édile a évoqué les propositions d’itinéraires de cortège pour la prochaine manifestation des Gilets Jaunes. On l’aura deviné : cette fois encore, malgré le concert de critiques qu’elle vient d’adresser à la majorité municipale, elle poussera de nouveau l’audace révolutionnaire jusqu’à s’abstenir lors du vote final. Car à gauche, comprenez-vous, on ne peut quand même pas voter contre un projet porté par la Métropole, dont on assure la tranquille co-gestion avec les exécutants de droite.
L’élu Front National, sans doute le plus artiste de la troupe, aura quand même réussi à glisser, entre autres fines allusions au Gosplan et à l’URSS, le souhait de voir une école bordelaise porter le nom d’une chanteuse locale, la célèbre Georgette Plana.
Prochain lever de rideau: vendredi 29 avril. Entrée gratuite. Venez nombreux.
Pâquerette Gracile